Musiques latines aux USA

Les premières influences latines

Les premiers musiciens cubains aux USA

Ponctuellement, les USA ont reçu dès la fin du 19ème siècle quelques titres cubains à succès comme "La paloma" (vers 1860), Habanera de Sebastián Iradier, ou "Tú" (1892), Habanera de Duardo Sánchez de Fuentes. Il faudra cependant attendre le siècle suivant pour que se crée un vrai échange entre les 2 pays. Le trovador 'Tata' Villegas fut le premier musicien cubain à jouer au Carnegie Hall en 1902.

Lassés par la discrimination et le manque de reconnaissance qu'ils subissent à cause de la couleur de leur peau, une partie des cubains qui jouent du Jazz quittent l'île pour tenter leur chance aux USA à partir de la fin des années 1920. Ils ont découvert cette musique dans les hôtels, cabarets et casinos cubains, tenus par des Américains et destinés au tourisme, qui prennent l'habitude de recevoir des orchestres des USA jugés plus prestigieux. En 1924, le pianiste Nilo Menéndez Barnet avait déjà fait le voyage vers les États-Unis. En 1926, Vicente Sigler Lalondrf est le premier directeur musical à réaliser ce voyage. Il est suivi par les musiciens Alberto Socarrás Estacio (1927) et Célido Curbelo qui marquent le début d'une vague d'immigration de musiciens cubains vers New-York : Alberto Iznaga (1929), Justo Ángel 'Don Azpiazu' Azpiazú (1930), Antonio Abad Lugo Machín (1930) ou Prudencio Mario Bauzá Cárdenas (1931).

Immigration portoricaine

L'immigration des Portoricains vers les États-Unis est ancienne. Elle commença dans les années 1860, lorsque de nombreux opposants à l'occupation espagnole de l'île de Porto-Rico trouvèrent refuge aux USA. Elle se poursuivit après l'occupation de l'île par les États-Unis en 1898 à la suite de la victoire américaine sur les Espagnols scellée par la signature du traité de Paris le 10 décembre. En échange de 20 millions de dollars, l'Espagne cède Cuba, Porto Rico et les Philippines aux USA.

Quand, le 2 mars 1917, le Congrès des États-Unis octroie la nationalité américaine aux Portoricains avec la loi Jones-Shafroth Act, nombre d'entre eux abandonnent leur île, essentiellement agricole, et s'installent à New York à la recherche d'emplois plus lucratifs. À la fin des années 1920, on estime cette immigration à 7364 personnes. La dépression des années 1930 frappe durement l'île et intensifie le mouvement, 450.00 Portoricains quittent leur pays durant cette décennie. Ils se fixent d'abord dans des logements insalubres situés près du débarcadère (Navy Yard) de Brooklyn, où arrivent leurs bateaux, puis rayonnent dans d'autres districts : Brownsville, Bedford Stuyvesand, East New York, ainsi qu'à Washington Heights (au nord de Manhattan) et à East Harlem (bientôt surnommé El Barrio). Exploités pour des salaires de misère et victimes de discrimination, les Portoricains ne cesseront de lutter pour leurs droits civiques, une participation accrue à la vie politique et de meilleures conditions de vie. Bien que cherchant à s'adapter à leur nouvel environnement, ils ne renient pas leur singularité culturelle.

El Barrio

Avec l'arrivée de nombreux Cubains et Portoricains à New-York, plusieurs clubs "latins" apparaissent à Manhattan. Les halls de réception du Golden Casino ou du Park Palace Caterer sont régulièrement loués pour accueillir des soirées dansantes. Le quartier du Spanish Harlem ou East Harlem surnommé El Barrio ("le quartier") concentre l'activité musicale : le cubain Frank Martin ouvre El trovador, Julio Mella crée El Mella, l'Apollo Theater propose des spectacles (comédies, variétés, pièces musicales) pour le public latino tous les dimanches dès 1926, les portoricains Rafael et Victoria Hernández Marín ouvrent le magasin de disques Almacenes Hernández (1927), le portoricain Gabriel Oller fonde le magasin de musique Tatay's Spanish Music Center (1934) et la maison de disque Dynasonics (1934) spécialisée dans les artistes cubains et portoricains... Le Campoamor de Marcial Flores devient un important foyer musical. Parmi les formations les plus en vogue, on peut citer Golden Casino Orchestra et Augusto Coen y sus Boricuas d'Augusto Coén, le sexteto Estrellas habaneras d'Alejandro 'Mulatón' Rodríguez, Cuarteto Borinquen ou le sexteto Los Ecos de Cuba du tresero Fernando 'Caney' Storch... De nombreux musiciens, à l'image d'Alberto Socarrás, alternent entre orchestres de Jazz et formations latines.

El Barrio
El Barrio

La maison de production RCA Victor signe des contrats avec quelques artistes portoricains comme Francisco Quiñones, Manuel 'Canario' Jiménez Otero, le Borinquen Orchestra, le Trío Borinquen de Rafael 'el Jibarito' Hernández Marín, Los Borinqueños, le Sexteto Puerto Rico, le Sexteto Borinquen ou le groupe de Roberto Roqué. La section "musiques latines" de la maison Columbia engage des artistes connus : Rita Aurelia Fulcida Montaner y Facenda, Nilo Menéndez Barnet ou Rafael Hernández Marín. Le public américain avait déjà découvert quelques titres cubains comme "Ay, Mamá Inés" d'Eliseo Grenet (1927) ou "Aquellos ojos verdes" de Nilo Menéndez Barnet (1929) mais il faut cependant attendre le spectacle proposé en 1930 par Justo Ángel 'Don Azpiazu' Azpiazú au Palace Theatre de Broadway avec son "The peanut vendor" (reprise de "El manisero" de Moisés Simón Rodríguez) interprété par Antonio Machín pour que les musiques cubaines remportent un grand succès aux USA. On estime qu'un million de disques sont vendus, un record pour l'époque. Ce Son-Pregón est diffusé sous l'étiquette "Rumba" ou "Rhumba" (certains expliquent que l'orthographe "rh" pourrait venir d'une association avec le mot "rhum"...). Il est repris par de nombreux artistes comme Louis Armstrong (1930), Ernest Loring 'Red' Nichols (1930) ou The California Ramblers (1930). Le film Cuban love song de Woodbridge Strong Van Dyke II comprend une scène dans laquelle Ernesto Lecuona y Casado chante "El manisero". Cette "Rumba" envahit les dancings et fait oublier la mode du Tango.

Plusieurs orchestres latins utilisent le label "Rhumba" pour nommer l'ensemble des musiques cubaines qu'ils proposent comme le Son, la Guaracha ou le Bolero. Pour les publier aux USA, quelques titres sont réinterprétés avec des paroles en anglais comme "Quiéreme mucho" qui devient "Yours" (1931) ou "Aquellos ojos verdes" qui se transforme en "Green eyes" (1931). Des musicologues indiquent que l'utilisation du mot "Rhumba" pourrait avoir été favorisée par le fait que le mot "son", qui signifie "fils" en anglais, ne "sonne" pas alors que "rhumba" est un mot-slogan qui reste rapidement dans l'oreille. La formation Xavier Cugat y sus Gigolos est l'orchestre qui œuvre le plus pour la diffusion de cette "Rhumba".

Xavier Cugat
Xavier Cugat

Dès son plus jeune âge, Francisco de Asís Xavier 'Cugi' Cugat Mingall de Bru y Deulofeu est remarqué pour ses talents de violoniste classique. D'origine catalane, il grandit à la Havane avant de s'installer à New-York en 1915. Il profite de la popularité du Tango pour en proposer une version modifiée qui s'adapte aux goûts des Américains. Avec sa formation Xavier Cugat y sus Gigolos, il occupe la salle de bal Cocoanut Grove de l'Ambassador Hotel de Los Angeles. Quand la "Rhumba" apparaît, il surfe sur cette nouvelle passion. Même s'il n'a pas de connaissance particulière des musiques populaires cubaines, sa version américanisée rencontre un tel triomphe qu'il fait oublier le succès de 'Don Azpiazu'. Il occupe la scène musicale mais participe aussi à des films tel que "Les lumières de la ville" de Charles 'Charlie' Spencer Chaplin en 1931. À partir de 1932, sa formation devient le groupe résident du Waldorf-Astoria hotel de New-York et y assure une représentation quotidienne. Puis, il joue tous les samedis soir à la radio dans le programme Cena en el Waldorf-Astoria. En 1934, l'émission Let's dance de la radio NBC propose 3 heures avec 3 orchestres tous les samedis à partir de 10h30. Murray 'Kel Murray' Kellner joue en première partie, Xavier Cugat prend la suite et Benjamin David 'Benny' Goodman termine. La présence médiatique de Xavier Cugat est si forte qu'il est surnommé "le Roi de la Rhumba".

Après avoir travaillé avec Xavier Cugat à New-York, Desiderio Alberto 'Desi' Arnaz y de Acha III retourne à Miami pour y former Desi Arnaz and his Xavier Cugat Orchestra avec des musiciens fournis par Xavier Cugat. 'Desi' Arnaz raconte que la première partie de sa représentation du 30 décembre 1937 au Mother Kelly's fut si mauvaise qu'il décida de montrer à ses musiciens qui n'avaient aucune culture de la musique latine comment jouer une Conga. L'utilisant lors de la seconde partie de son concert, il introduit la mode de la Conga de salon ou Conga en ligne, forme simplifiée de la Conga de carnaval, dans laquelle les participants forment une chaîne et lèvent une jambe alternativement d'un côté puis de l'autre en marquant l'accent du bombo (sorte de grosse caisse). Ses prestations sont de véritables shows. Le succès est immédiat, à tel point que le Mother Kelly's est rebaptisé La Conga. Suite à diverses tensions avec Xavier Cugat, il fonde son propre orchestre, le Desi Arnaz Orchestra. En 1938, un club nommé La Conga ouvre aussi à New-York et embauche la formation de 'Desi' Arnaz. Ensuite, il se tournera vers la télévision en incarnant le personnage Ricky Ricardo dans la série I love Lucy puis il joue dans divers films. Xavier Cugat enregistre le succès "One, two, three, kick!" en 1939. Alberto Iznaga et Anselmo Sacasas signent "Va la Conga".

'Desi' Arnaz
'Desi' Arnaz

Il faut toutefois noter que bien que 'Desi' Arnaz déclare avoir introduit la Conga aux USA, ce n'est pas le premier car Eliseo Grenet Sánchez l'avait déjà présenté à New-York en 1937 sous le titre "Havana is calling me" (ce titre avait déjà été enregistré à Cuba sous le nom de "La Conga").

Malgré ces divers succès, la musique latine reste limitée à la communauté hispanophone ou à des connaisseurs jusqu'au début des années 1940. La rivalité entre groupes de Jazz et groupes latinos est à l'avantage des premiers, notamment grâce à James 'Jimmy' et Thomas Francis Junior 'Tommy' Dorsey, William James 'Count' Basie, Cabell 'Cab' Calloway III, Edward Kennedy 'Duke' Ellington, 'Benny' Goodman, James Fletcher Hamilton Henderson Junior, Alton Glenn Miller ou Arthur Jacob 'Artie Shaw' Arshawsky. Xavier Cugat peut être considéré comme la référence américaine de musique latine des années 1930 même s'il en présente une vision très stéréotypée.

Le Jazz Afrocubain

À la fin des années 1930 et au début des années 1940, de nouveaux musiciens cubains s'installent aux USA comme Francisco Hilario 'Panchito Riset' Riser Rincó, Alfredito Valdés (1937), José Curbelo (1939), Miguel Ángel Eugenio 'Miguelito' Lázaro Zacarías Izquierdo Valdés Hernández (1940) ou Anselmo Sacasas (1940). Nombre d'entre eux forment leurs orchestres dans lesquels sont recrutés des musiciens américains et portoricains. L'influence des rythmes afro-cubains sur le Jazz commençait déjà à se faire entendre à partir du milieu des années 1930 mais l'arrivée en 1937 de Francisco Raúl 'Franck Machito' Gutiérrez Grillo de Ayala à New-York et la création de sa formation Machito y sus afrocubans en 1940 révolutionnent le monde musical new-yorkais en proposant une nouvelle façon de jouer du Jazz. Leur première représentation au Park Plaza Hotel surprend le public par son intensité et son originalité musicale. L'un de leurs premiers succès sera "Sopa de Pichón" en 1941. Tout en s'adaptant aux divers styles du moment, Mario Bauzá et 'Machito' explorent constamment des territoires vierges. Ils fondent le Jazz Afrocubain avec le titre "Tanga" (1943) qui est diffusé sur toutes les radios de Jazz.

Machito y sus afrocubans
Machito y sus afrocubans

De son côté, 'Miguelito' Valdés débute à New-York avec l'Orquesta Siboney d'Alberto Iznaga puis intègre la formation de Xavier Cugat avec qui il enregistre une série de reprises comme "Blen, blen, blen" de Luciano 'Chano' Pozo Gonzáles, "Mis cinco hijos" d'Osvaldo Farrés Rodríguez, "Elube Changó" d'Alberto Rivera, "Los hijos de Buda" de Rafael Hernández, "La negra Leonó" de Benito Antonio 'Ñico Saquito' Fernández Ortiz, "Babalú" de Margarita Lecuona, "Yo tá namorá" d'Ignacio Arsenio Rodríguez Travieso Scull, "Anna Boroco Tinde" de 'Chano' Pozo, "Ecó" de Gilberto Valdés Valdés... Sa version de "Babalú" fait oublier celle que 'Desi' Arnaz avait présenté à l'Amérique quelques années auparavant et lui vaut le surnom de 'Mr. Babalú'. Un désaccord met fin à sa collaboration avec Xavier Cugat. Il est remplacé en 1942 par Pablo 'Tito' Rodríguez Lozada.

'Miguelito' Valdés rejoint Machito y sus afrocubans avec qui il joue dans divers centres nocturnes comme La Martinica (New-York), Mocambo (Hollywood) et surtout La Conga (un des clubs new-yorkais les plus en vue des années 1930 et du début des années 1940). Pour la firme Decca, ils enregistrent des succès comme "Rica pulpa", "Zarabanda" ou "Nagüe" de 'Chano' Pozo. Ils sont sollicités partout aux USA. En 1943, 'Miguelito' Valdés retourne à Cuba pour la radio RHC cadena Azúl puis, sans orchestre propre, part pour le Mexique jusqu'en 1944.

La présence de la musique latine s'accroît grâce à 2 éléments. D'une part, l'ASCAP (American Society of Composers, Authors and Publishers) qui détient les droits d'auteurs de nombreux artistes décide d'augmenter en 1940 les prix de diffusion. Les radios décident alors de boycotter ces titres en créant une association concurrente, la BMI (Broadcast Music Incorporated), qui inclut dans son catalogue des musiques latines. D'autre part, la Seconde Guerre mondiale produit en 1943 une pénurie de vinyles aux USA. Les grands labels se concentrent sur les artistes Pop américains et, à l'exception de Xavier Cugat, Decca et Columbia annulent les contrats avec les musiciens latins. En réaction, les labels Seeco et Verne sont créés et signent avec les artistes latins.

'Miguelito' Valdés
'Miguelito' Valdés

À son retour du Mexique, 'Miguelito' Valdés enregistre avec le pianiste portoricain Norosbaldo 'Noro' Morales, avec la Sonora Matancera et avec plusieurs formations créées au gré des contrats. Pour Verne, il enregistre les hits "Cabildo" et "Tierra va temblar" avec Machito y sus afrocubans. Pour Musicraft, il signe le morceau "Rhumba rhapsody" (1946) qui passe même sur des radios non-latines de New-York. Sa popularité est immense et il remplace Xavier Cugat comme star de la musique latine aux USA.

Le seul groupe qui ait pu, dans les années 1940, rivaliser avec Xavier Cugat puis avec 'Miguelito' Valdés et Machito y sus afrocubans est sûrement celui dirigé par le pianiste portoricain Norosbaldo 'Noro' Morales. Quand 'Machito' embauche plusieurs musiciens portoricains, 'Noro' choisit des cubains. Ce dernier fait régulièrement appel à 'Machito' pour ses enregistrements comme "Con tu negro" (1940), "Como yo no hay quien baile muñeco" (1941), "Bim bam bum" (1941) ou "Rueda" (1941). Son titre "Serenata rítmica" (1942) est un vrai succès qui dure plusieurs mois. Sa formation obtient des contrats pour le Harvest Moon Ball (bal annuel qui rassemble les meilleurs danseurs) mais aussi pour divers films comme The gay ranchero (1941), Cuban Pete (1942), Ella (1942) ou Mexican jumping bean (1942). Son orchestre est le mieux payé de la scène musicale latine. On le demande au Stork Club puis à partir de 1945 à La Conga. Ses enregistrements pour Coda sont quotidiennement programmés à la radio. Il signe également plusieurs succès avec Majectic records. Dès 1946, 'Noro' Morales se produit régulièrement avec son orchestre depuis le China Doll d'où il enregistre pour la radio.

'Noro' Morales
'Noro' Morales

Pendant ce temps, de l'autre côté du pays, le pianiste René Touzet y Monte, arrivé aux USA en 1944, joue avec son orchestre au Avedon Ballroom de Los Angeles. Sa formation inclut des musiciens américains.

L'impact de la musique latine se fait toujours plus présent dans la musique américaine. De nombreuses mélodies latines sont reprises même si la rythmique est souvent loin de l'originale : "Frenesí" par Arthur Jacob 'Artie Shaw' Arshawsky (1940), "Perfidia" par Ozzie Nelson (1940), "Frenesí" par Benjamin David 'Benny' Goodman (1940), "Amapola" par James 'Jimmy' Dorsey (1941), "Perfidia" par Alton Glenn Miller (1941), "Perfidia" par Harry Haag James, "Green Eyes" (reprise de "Aquellos ojos verdes") par James 'Jimmy' Dorsey (1941) ou "You belong to my heart" (reprise de "Solamente una vez") traduit par Ray Gilbert en 1945 le Disney "Les trois caballeros". Certains artistes tentent d'apporter leurs titres à la musique latine. Nathaniel 'Nat King' Adams Cole enregistre à Cuba l'album Rumba a la King en 1946. Alton Glenn Miller enregistre le titre "The Rhumba jumps" (1940), Cabell 'Cab' Calloway III "Conchita" (1941) ou Harry Haag James "La paloma" (1941) et "Estrellita" (1942). De plus, quelques titres purement latins obtiennent d'énormes succès comme "El cumbanchero" (1940) de Rafael Hernández Marín, "Solamente una vez" (1941) d'Ángel Agustín María Carlos Fausto Mariano Alfonso del Sagrado Corazón de Jesús Lara y Aguirre del Pino, "Bésame mucho" (1941) de Consuelo 'Consuelito' Velázquez ou "Amor" (1943) de Gabriel Ruiz Galindo.

Les clubs "latins" foisonnent dans New York et ses environs : Roadside Club dans le New Jersey, La Bamba, Alameda Room, Latin Quarter, Club Cuba, China Doll, Havana-Madrid et La Conga dans le Midtown, El Toreador, Cubanacán, Saint Nicholas Arena, El Club Caborrojeño et Audubon ballroom dans l'Uptown, Tropicana, Tropicola, Caravana, Tropicoro, La Campana et Hunts Point Palace dans le Bronx. Mais le paradis incontesté de la musique latine est l'Alma Dance Studios.

Palladium Ballroom
Palladium Ballroom

La salle de danse Alma Dance Studios ouvre en 1946. New-York en compte déjà de nombreuses mais ce sont le Roseland et l'Arcadia qui sont les centres les plus en vue. Pour promouvoir son établissement, son propriétaire Tommy Morton embauche Machito y sus Afrocubans pour sa capacité à jouer des musiques américaines (Foxtrot, Valse ou Swing) comme des musiques latines (Bolero, "Rhumbas" ou Tango). Ce n'est pas une réussite. Sur les conseils de 'Machito' et Mario Bauzá, Tommy Morton accepte de proposer un événement exclusivement latin. Avec l'aide d'Arsenio 'Frederico' Pagani Santiago, connu comme le "parrain de la musique latine" ou "El gran Frederico", un dimanche après-midi dansant appelé le Blen Blen Club est organisé avec 6 groupes dont 'Noro' Morales, José Curbelo, Joseíto Román (pour ses Merengues bouillants), 'Radindley' Guerra et 'Machito'. La réussite est totale. Le rendez-vous du dimanche est renouvelé et s'étend rapidement au mercredi puis à plusieurs jours de la semaine. La salle, située entre la 53ème et Broadway, connaît un succès fulgurant et devient un passage obligatoire pour tous les orchestres latins d'importance. Noirs, Blancs, Portoricains et Cubains sont acceptés et se mélangent dans un quartier considéré comme "blanc". En 1949, l'Alma Dance Studios est rebaptisé en Palladium quand Max Hyman le rachète.

Après la seconde guerre mondiale, ces lieux attirent les musiciens "latins" mais aussi les jazzmen qui viennent participer à des bœufs qui facilitent les échanges culturels. Les artistes du Palladium fréquentent aussi les clubs de Jazz tels que le Birdland ou le Royal Roost. Le Jazz emprunte aux musiques cubaines leurs percussions, leurs rythmes, leurs montunos, leurs breaks ou leurs riffs. À l'inverse de la Rhumba pour laquelle les jazzmen américains n'avaient pas trop participé, ils s'emparent du Jazz Afrocubain et leurs productions sont de plus en plus accomplies comme le montrent l'album Bijou (Rhumba à la Jazz) (1945) de Woodrow 'Woody' Charles Herman ou les titres "The new redskin Rhumba" (1948) de Charles 'Charlie Barnet' Daly et "Keb-Lah" (1949) de Juan Tizol joué par Harry Haag James.

John Birks 'Dizzy' Gillespie qui dit vivre au Palladium rejoint le mouvement du Jazz Afrocubain et, en collaboration avec le conguero Luciano 'Chano' Pozo Gonzáles, crée de vrais standards. Basé sur le Be-Bop, ils donnent naissance au Cubop dont l'une des pièces maîtresses sera "Manteca" écrit par 'Chano' Pozo et affiné par 'Dizzy' Gillespie et Walter Gilbert 'Gil' Fuller en 1947. Jusqu'à 'Chano' Pozo, la batterie était l'élément rythmique central du Jazz. L'utilisation des percussions noires avaient disparu à l'exception du washboard. 'Chano' redonne vie aux congas et popularise son utilisation dans la musique américaine. Stanley 'Stan' Newcomb Kenton va également participer activement à ce mouvement. Il est l'un des premiers américains à utiliser des percussions latines dans ses compositions comme "Fugue for rhythm section" (1947). Ses premiers pas vers le Cubop sont marqués par le titre "Machito" (1947). L'un de ses plus grands hits sera une reprise du "The peanut vendor" (1947) joué avec 3 percussionnistes de l'orchestre de 'Machito' incluant celui-ci aux maracas. Après "Mango mangüe" (1948) avec Chales 'Charlie' Parker Junior et le disque Machito Jazz with Flip and Bird produit par Norman Granz avec 'Charlie' Parker et Joseph Edward 'Flip Phillips' Filipelli, 'Machito' est fortement demandé par de nombreux bopper comme Dexter Keith Gordon, John 'Zoot' Haley Sims, Stanley 'Stan Getz' Gayetzsky, John Arnold III 'Johnny' Griffin, Milton Aubrey 'Brew' Moore, Lee Konitz ou Howard McGhee. Le batteur William 'Cozy' Cole mène également une formation qui participe aux expérimentations du Cubop.

À l'image du couple 'Dizzy' Gillespie et 'Chano' Pozo, nombre de formations de Jazz s'empressent d'embaucher des cubains, en particulier des percussionnistes. Parmi eux, on peut citer Carlos Vidal Bolado (congas et bongos), Diego 'Mofeta' Iborra (bongos et congas), Cándido 'Candido' de Guerra Camero (congas et bongos), Arturo 'Chico' O'Farrill (arrangements, composition, trompette) ou Vicente 'Vicentico' Valdés Valdés (chant). Bien que non-cubain, le percussionniste américain Sabu Martinez est également une figure importante qui se fait remarquer en 1948. Il remplace 'Chano' Pozo, assassiné à seulement 33 ans, dans l'orchestre de 'Dizzy' Gillespie.

'Tito' Puente
'Tito' Puente

Le Palladium fait naître une des personnalités incontestables de la musique latine, Ernesto Antonio 'Tito' Puente Junior. Il est repéré à l'âge de 16 ans et embauché par José Curbelo. Après avoir joué avec Anselmo Sacasas, 'Noro' Morales ou Machito y sus Afrocubans entre autres, il devient batteur et directeur musical du Pupi Campo Orchestra en septembre 1947. Après l'avoir écouté jouer, 'Frederico' Pagani lui propose en 1948 un des dimanches après-midi dansant du Palladium avec un groupe formé pour l'occasion, principalement des membres du Pupi Campo Orchestra, sous le nom des Picadilly Boys. Les danseurs l'acclament et le demandent à nouveau. En juillet 1949, il forme son propre Tito Puente Orchestra qui débute au El Patio Club. Fin 1949, il engage 'Vicentico' Valdés et enregistre le succès "Abaniquito" (1949). Grâce au show radio de Dick 'Ricardo' Sugar, le morceau obtient une diffusion journalière et la popularité de 'Tito' Puente et 'Vicentico Valdés' monte en flèche. Avant lui, Antonino 'Tony el Cojito' Escollies ou Carlos Montesino étaient déjà des timbaleros importants mais 'Tito' Puente donne aux timbales une place privilégiee en devenant le 'El Rey del timbal' ("le roi des timbales").

Une autre personnalité est le chanteur portoricain Pablo Tito Rodríguez Lozada. À 16 ans, il joue pour son frère Johnny Rodríguez. En 1940, il rejoint l'orchestre d'Enric Madriguera puis remplace 'Miguelito' Valdés en 1942 dans la formation de Xavier Cugat. Son premier enregistrement est "Bim Bam Bum" (1942) pour Columbia. Après une année de service militaire en 1943, il joue avec divers artistes comme 'Noro' Morales, José Curbelo (1946, en même temps que 'Tito' Puente) ou Machito y sus Afrocubans. En 1947, il crée sa formation Los Diablos del Mambo qu'il renomme ensuite Los Lobos del Mambo puis The Tito Rodríguez Orchestra. Un de leurs premiers hits est "Bésame la bembita".

Tito Rodríguez
Tito Rodríguez

En 1948, George Goldner et Art 'Pancho' Raymond créent Tico Records, premier label spécialisé dans la musique latine. Grâce à des enregistrements avec les stars du moment comme Tito Rodríguez mais surtout 'Tito' Puente, il devient un incontournable de la musique latine.

La musique latine bénéficie aussi du succès international du Bolero "Quizás, quizás, quizás" (1947) d'Osvaldo Farrés Rodríguez. Ce morceau sera abondamment repris, parfois sous sa version anglaise "Perhaps, perhaps, perhaps".

Après la seconde guerre mondiale, les USA lancent l'Operation Bootstraps (1948) dont l'objectif est de transformer l'économie de Porto-Rico en passant d'un système basé sur l'agriculture (canne à sucre) à un modèle industriel et touristique. Le résultat est un échec, le taux de chômage explose et de nombreux Portoricains fuient leur île pour chercher un emploi aux USA. Cette vague migratoire est appelée la "Grande Migration". On estime qu'entre 1946 et 1950, New-York accueille 31.000 migrants par an. En 1948, le Migration Division Office du ministère du travail portoricain ouvre à New-York. Il a un rôle de médiation entre l'île et les communautés américano-portoricaines de la ville, cherchant à faciliter l'arrivée aux USA et à informer des possibilités de travail. L'opinion public est très largement hostile à leur arrivée et ils souffrent de logements insalubres et surpeuplés, de piètres services de santé et d'emplois mal payés. Quand New-York comptait environ 61.000 Portoricains en 1940, ils atteignent 200.000 dans les années 1950. Cette immigration nourrit la communauté latine du Spanish Harlem mais l'explosion démographique entraîne aussi la formation de petits barrios dans le Bronx ou à Brooklyn.

Mambo craze et Cha-Cha-Chá

Depuis 1948, Dámaso Pérez Prado est installé au Mexique avec l'espoir de rencontrer le succès qu'il n'a pas connu à Cuba. Il y enregistre de nombreux Mambo dont certains avec Maximiliano Bartolomé 'Benny' Moré Gutiérrez qui vit également au Mexique. Son titre "Mambo N°5" (1949) obtient une énorme audience au Mexique et rapidement aux États-Unis. Il reçoit le surnom de 'King of the Mambo'. Son 78 tours qui contient les titres "Mambo N°5" et "Que Rico el Mambo" (renommé "Mambo Jambo" pour le public américain) est un tel succès qu'il entame une tournée aux USA en 1951. Ses 8 premiers concerts déclenchent une vague de "Mambomania". Il diffuse avec succès son Mambo sur la côté californienne mais New-York et la côte est ne l'ont pas attendu.

Palladium
Palladium

'Machito' (aidé de Mario Bauzá et de René Alejandro Hernández Junco), José 'Joe Loco' Estévez et 'Tito' Puente ont déjà imposé le genre au Palladium. La salle devient 'Le Temple du Mambo'. Si Pérez Pardo triomphe avec ses Mambo percutants, c'est New-York qui propose les arrangements les plus sophistiqués et la plus grande créativité musicale. Initialement programmé le dimanche matin, le Mambo s'installe ensuite le mercredi soir puis s'étend progressivement à tous les jours de la semaine. Dámaso occupe durant une période le Palladium mais la concurrence est rude avec les autres orchestres cubains et portoricains, notamment avec les Afrocubans qui développent une facette plus dansante. Le mercredi soir, la salle organise le Mamboscope ; un cours de Mambo gratuit, suivi d'une compétition de danse amateur et d'une démonstration de professionnels pour 1 dollar 75. Tous les meilleurs danseurs s'y retrouvent, habillé avec élégance pour l'occasion, comme Pedro 'Cuban Pete' Aguilar et Carmela 'Millie Donay' Dante Di Stefano, Frank 'Killer Joe' Piro, Augustin 'Augie' Rodríguez et Margo Bartolomei 'Rodríguez', Louie 'Máquina' Flores, Luis Aníbal 'Andy' Vázquez Plaza, Joe Centeno, Joe Vega, Nilda Terrace, Michael 'Michael Mike Terrace' Santiago Gutierrez de Lozano et Elita Cleveland, Carmen 'Denchi' Cruz et Gene Ortíz, Larry Selon et Vera Rodriguez, Larry Selden, Samson Batalla ou 'Paulito' et 'Lilón'. Ces rendez-vous permettent d'oublier le temps d'une danse les barrières raciales et religieuses et de faire s'estomper les stéréotypes. Au fil du temps, la danse s'enrichit de pas ou d'enchaînements toujours plus complexes.

Le Mambo fait tellement fureur que l'on qualifie ce mouvement de "Mambo craze". Le Palladium accueille le Big Three composé de 'Machito', 'Tito' Puente et Tito Rodríguez qui se disputent la vedette. En 1949, 'Tito' Puente enregistre son célèbre "Ran kan kan". En 1951, les amis 'Tito' Puente et Tito Rodríguez se fâchent pour être la tête d'affiche du Palladium et obtenir le meilleur salaire. Cette rivalité qui va durer fera partie des attraits du Palladium.

1951 est l'année de Tito Rodríguez qui produit de nombreux titres avec Tico. Mais en 1952, c'est 'Tito' Puente qui remporte les débats haut la main avec 37 enregistrements pour Tico. Son titre "Vibe Mambo" porte le vibraphone sur le devant de la scène. Tito Rodríguez enregistre alors pour RCA en 1954 mais quand 'Tito' Puente signe lui aussi avec RCA en 1956, Tito Rodríguez revient chez Tico.

En 1952, le Palladium ne présente plus que du Mambo. Rapidement, le Savoy Ballroom et l'Appolo Theater offrent une soirée Mambo le lundi soir. En 1954, George Goldner rassemble quelques uns des meilleurs musiciens pour un spectacle au Carnegie Hall de New-York appelé "Mambo U.S.A". Débute ensuite une série de concerts dans 56 villes américaines auxquels participent 'Machito', 'Tito' Puente, 'Joe Loco', 'Miguelito' Valdés ou 'Candido' Camero. Cette tournée intitulée Mambo Rhumba festival mais mieux connue comme Mambo U.S.A doit diffuser dans tous le pays la musique mais aussi, grâce à plusieurs danseurs, l'ambiance du Palladium. Elle sera vite écourtée pour cause de ségrégation à laquelle les musiciens n'étaient pas préparés. En 1954, Irving Granz organise la revue Mambo Jambo au Shrine auditorium de Los Angeles avec Dámaso Pérez Prado, Tito Rodríguez et 'Chico' O'Farrill. Le Mambo se retrouve partout : le Encore Room de Chicago devient le Mambo City, un Mambo City ouvre à Los Angeles, le Mambo Club à New-York, El Mambo à Miami ou le Mambo Room à Cleverland. Sur la côte ouest, René Touzet écrit de nombreux succès. À New-York, le Roseland propose une soirée Mambo (appelée Mamborama) le mardi, le Savoy Ballroom le lundi et l'Apollo Theater le lundi.

La fièvre du Mambo est telle que des artistes qui ne sont pas latins enregistrent des albums Mambo comme Theodore Walter 'Sonny' Rollins avec Mambo Jazz, Milton 'Shorty Rogers' Rajonsky avec Mambo del crow, Callen 'Cal' Radcliffe Tjader Junior avec Mambo with Tjader, George Shearing avec Cool Mambo, Errol Louis Garner avec Mambo moves Garner, Edward Kennedy 'Duke' Ellington avec Bunny hop Mambo, William 'Count' Basie avec Mambo mist, 'Stan' Kenton avec Mambo rhapsody, Pedro 'Pete Terrace' Gutierrez avec Invitation to the Mambo ou William 'Billy' Taylor avec Early morning Mambo et Mambo inn. On peut aussi citer les titres "Saint Louis Blues Mambo" de The Browns, "Mambo los feliz" de Howard Rumsey, "Papa loves Mambo" de Pierino Ronald 'Perry' Como, "Mambo italiano" de Rosemary Clooney, "Mambo Blues" de Herman 'Duke' Jenkins ou "Another Mambo" de Lester 'Prez' Willis Young. The Baxters, Woodrow Charles 'Woody' Herman ou Arthur Edward 'Art' Pepper sont encore des artistes qui se frottent au Mambo. Dámaso Pérez Prado signe "Patricia" en 1958, succès mondial qui sera vendu à 4 millions d'exemplaires. Frederico Fellini l'utilisera dans son film La Dolce Vita en 1960.

En marge de ce mouvement, Ignacio Arsenio 'Rodríguez' Travieso Scull qui après avoir fait plusieurs allers-retours à New-York s'y installe en 1952, propose un Son qui lui est propre. Avec son groupe Arsenio Rodríguez y su Conjunto de Estrallas, il tente d'imposer ce qu'il appelle le Son-Capetillo sous le label Seeco Tropical Records. Ce style qui n'est ni plus ni moins qu'un Son Montuno aux accents de Jazz et de Mambo ne passionne pas le public. Il n'obtiendra plus la popularité qu'il connut à Cuba.

Palladium Mambo Legends
Palladium Mambo Legends

Quand en 1954 apparaît le Cha Cha Chá, le Palladium le présente avec succès. Les danseurs Freddie Rios et Mike Ramos qui forment les Palladium Mambo Legends animent la salle. Le premier morceau qui est entendu à New-York est "El Jamaiquino" du La Playa Sextet. José Curbelo signe "El pescador", Tito Rodríguez "Me lo dijo Adela" (1954), 'Machito' "El niche" (1954) ou "El campesino", Orquesta Aragón "Pare cochero" (1954), 'Tito' Puente "Rico vacilón" (1955) ou Pérez Prado "Cerezo rosa"/"Cherry pink and apple blossom white" (1955). Le Cha Cha Chá utilise la même orchestration que celle du Mambo. Il est donc adapté pour des sections de cuivre amples et ces 2 styles musicaux ont parfois des sonorités proches quand à Cuba, la distinction est plus nette.

Mambo et Cha Cha Chá plaisent tant que diverses chansons Pop adoptent leurs rythmiques comme "Honey love" (1954) de The Drifters, "Fever" de Norma 'Peggy Lee' Deloris Egstrom (1958), "La dee dah" (1958) de Billy Ford et Lillie Bryant ou "Venus" (1959) de Francis Thomas 'Franckie Avalon' Avallone. Dino Paul 'Dean Martin' Crocetti convertit "Mélodie d'amour" en "Cha Cha Cha D'Amour" (1961).

Grâce à ses nombreux hits, 'Tito' Puente devient la star incontournable de la musique latine. Il est le premier directeur d'une formation musicale latine d'importance né aux USA. Ses enregistrements allient fougue cubaine et sophistication new-yorkaise. Il est présent à la radio mais aussi à la télévision. De nombreux musicologues pensent que personne n'aura autant fait pour la musique latin que lui.

À côté du Mambo et du Cha Cha Chá, le Jazz Afrocubain poursuit son développement bien que se limitant à la communauté latine car l'intérêt des jazzmen pour cette musique diminue peu à peu. Ramón 'Mongo' Santamaría, arrivé à New-York en 1950, se présente au Palladium Ballroom en 1956 puis signe l'incontournable Afro-blue en 1959. Sur plusieurs de ses albums, il s'inspire de la musique afro-cubaine. En 1956, 'Stan' Kenton continue de proposer son Jazz "progressiste" et grave en 1956 l'un de ses chef d'œuvre, Cuban fire, composé par Johnny Richards. De son côté, 'Machito' délivre l'album Kenya: Afro-Cuban Jazz en 1958. Il réunit Machito y sus Afrocubans, Julian Edwin 'Cannonball' Adderley, Joe Newman, Edward Joseph 'Eddie Bert' Bertolatus, René Hernández, Adolphus Anthony 'Doc' Cheatham, Carlos 'Patato' Valdés et 'Candido' Camero. Le pianiste George Shearing rend son Jazz plus latin pour l'album Latin escapade (1956). Il invite William 'Willie Bobo' Correa aux timbales, 'Cal' Tjader au vibraphone, 'Mongo' Santamaría aux congas et 'Mongo' Santamaría aux bongos.

Les USA se prennent également pour ses crooners comme Richard Benjamin 'Dick' Haymes, Buddy Clark, 'Perry' Como, Dino Paul 'Dean Martin' Crocetti ou Francis Albert 'Frank' Sinatra. Cela leur permet de redécouvrir divers Bolero cubains. En 1953, lors du premier concert de 'Tito' Puente sur la côté ouest, ce dernier voit que l'affiche mentionne "Vicentico Valdés con la Orquesta de Tito Puente". Il ne l'accepte pas et parle si durement à 'Vicentico' Valdés que ce dernier quitte le groupe à leur retour à New-York. Il sera remplacé par Gilberto Monroig. 'Vicentico' crée sa formation et signe pour Seeco d'innoubliables Bolero comme "Derroche de Felicidad", "Como Fue", "Plazos tracioneros", "Tiernamente" ou "Si te dicen". D'autres chanteurs représentent le style Bolero comme les portoricains Víctor Manuel 'Vitín' Avilés Rojas (surnommé 'El cantante del amor'), Gilberto Monroig ou Ángel Santos Colón Vega.

À partir de 1957, le portoricain Rafaél Antonio Cortijo tente d'introduire les rythmes portoricains de la Bomba et de la Plena. Il est aidé par le chanteur Ismael 'Maelo' Rivera connu comme 'El sonero mayor' et le tromboniste Efraín 'Mon' Rivera Castillo. Mais bien que les Portorcains soient bien plus nombreux à New-York que les Cubains, les années 1930, 1940 et 1950 sont dominées par les musiques cubaines comme le Son, la Guaracha, le Bolero, le Mambo ou le Cha Cha Chá. Durant les années 1950, des musiciens dominicains viennent compléter la présence portoricaine et cubaine.

Pachanga et format "charanga"

Suite à la Révolution cubaine, de nombreux musiciens s'exilent durant l'exodo farandulero ("exode du show-biz") et une grande partie s'installe aux USA : Olga Guillot (chant), Xiomara Alfaro (chant), Celia de la Caridad Cruz Alfonso (chant), Guadalupe Victoria 'La Lupe' Yolí Raymond (chant), Renée Barrios (chant), Orlando 'Contreras' González Soto (chant), Antonio 'Ñico' Membiela (chant), Rolando 'El Guapachoso' Laserie (chant), Roberto Cecilio 'Bobby' Collazo Peña (chant), Celio González (chant), Bienvenido Rosendo Granda Aguilera (chant), Roberto Ledesma (chant), Orlando Vallejo (chant), Leo Castañeda (chant), Felo Bohr (chant), Ramón 'Monguito' Quian Sardiñas (chant), Justo Betancourt (chant), Pedro 'Rudy' Calzado (chant), Mario 'Papaíto' Muñoz Salazar (chant et percussions), Enrique 'Virgilio' Martí (chant et percussions), Eugenio 'Totico' Arango (chant et percussions), Dionisio Ramón Emilio 'Bebo' Valdés Amaro (piano), Rafael Baserva Soler (piano), Israel 'Cachao' López Valdés (contrebasse), Lázaro Prieto (contrebasse), Belisario López Rossi (flûte), Humberto Suárez (chef d'orchestre), Julio Gutiérrez (chef d'orchestre), Rogelio Martínez Díaz (chef d'orchestre), Lily 'Elisa' Batet (compositeur)... et le groupe tout entier de la Sonora Matancera. Ils vont nourrir l'effervescence musicale new-yorkaise.

À partir de la fin des années 1950, le format musical de type charanga (flûte, violons, piano, contre-basse, timbales et güiro) s'installe peu à peu à New-York. Ce format avait déjà été utilisé aux États-Unis par Gilberto Valdés Valdés en 1952 mais n'avait pas rencontré un très grand engouement. Il incluait les percussionnistes Ramón 'Mongo' Santamaría et William 'Willie Bobo' Correa. Sur le même schéma, Armando Sánchez Rovira fonde en 1956 la seconde charanga des USA à Chicago, l'Orquesta Nuevo Ritmo. Elle comprend Félix 'Pupi' Legarreta (violon), José 'Rolando' Calazán Lozano (flûte), Pedro Manuel 'Rudy' Calzado (chant) et René 'El Látigo' Hernández (piano). Après avoir conquis Chicago, ils se produisent au Palladium Ballroom mais le groupe se sépare brusquement en 1959. À son tour inspiré par cette formation, le pianiste portoricain Carlos Manuel 'Charlie' Palmieri crée la Orquesta Duboney en 1958. La même année, il engage comme timbalero le musicien dominicain Juan Pablo Azarías 'Johnny' Pacheco Knitting qu'il entend jouer au Monte Carlo Ballroom. Mais rapidement, pour combler le départ du trompettiste Mario Cora, 'Johnny' Pacheco devient le flûtiste de la formation. 'Vitín' Avilés assure le chant. La La Duboney devient si populaire qu'ils sont demandé tous les soirs. En plus de la flûte, ils utilisent jusqu'à 4 violons pour se rapprocher du son de l'Orquesta Aragón.

'Charlie' Palmieri
'Charlie' Palmieri

L'Orquesta Duboney impose la flûte et le violon, développe une manière particulière de chanter à 2 voix et imprègne une rythmique où dominent les timbales. En popularisant le format musical de type charanga, la flûte se retrouve au cœur de la formation. Sa présence comme instrument important de la musique latine ayant déjà été réaffirmée par le Cha Cha Chá.

Rapidement, les orientations de 'Charlie' Palmieri et de 'Johnny' Pacheco divergent. Le premier souhaite élever le niveau de la mélodie et de l'orchestration quand le second préfère renforcer la rythmique. Après 8 mois de collaboration, Johnny 'Pacheco' quitte l'Orquesta Duboney pour former son propre groupe, Pacheco y su Charanga. Son jeu est plus jeune et dynamique que celui de 'Charlie' Palmieri. Il se produit au Tritón dans le Bronx.

En 1960, les USA découvrent la Pachanga de Claudio 'Eduardo Davidson' Eddy Cuza grâce aux formations Fajardo y sus Estrellas et Orquesta Aragón. José Fajardo se présente au Waldorf-Astoria hotel pour la campagne présidentielle de John Fitzgerald Kennedy. Le succès de son All-Stars le mène au Palladium.

En 1960, 'Johnny' Pacheco signe l'album Johnny Pacheco y su charanga vol. 1 pour le label Alegre Records, firme fondée par Alberto 'Al' Santiago Álvarez en 1956 qui devient avec Tico Records la seconde grande maison de production dédiée à la musique latine. Ce disque, qui contient les Pachanga "El güiro de Macorina" et "Óyeme mulata" se vend à 100.000 exemplaires la première année et devient un classique. 'Johnny' Pacheco mais aussi 'Charlie' Palmieri contribuent à l'essor de la Pachanga. Dès 1961, elle dépasse la popularité du Cha Cha Chá malgré un tube comme "Oye como va" (1963) de 'Tito' Puente (qui rappelle le "Chancullo" d'Israel 'Cachao' López). La Pachanga met en avant les formations de type charanga dont le nombre explose à New-York :

  • Charanga Moderna de Ray Barretto en 1961 qui connaît un succès international ;
  • Charanga Sabrosura de 'Mongo' Santamaría en 1961. Cette formation réunit plusieurs anciens musiciens de l'Orquesta Nuevo Ritmo dont 'Rolando' Lozano et 'Pupi' Legarreta ainsi que de nouveaux instrumentistes comme les percussionnistes 'Willie' Bobo et José 'Chombo' Silva ;
  • Charanga Broadway ensuite renommée Orquesta Broadway des frères Zervigón en 1962. Roberto Torres assure le chant. Cet ensemble sera connu pour ses battles avec José Fajardo ou avec l'Orquesta Típica Novel au Roundtable de Manhattan ;
  • Orquesta Típica Novel d'Hector Zeno et Eddy Rodríguez en 1961 ;
  • Los Mamboleros de Lou Pérez avec le violoniste Edward Allen 'Eddie Drennon' Drennen. Son album Of latin extraction est une référence.

Tous les orchestres se mettent à la Pachanga dont le point culminant est atteint en 1963. 'Charlie' Palmieri enregistre "Son de Pachanga", Joe Quijano Esterás "La Pachanga se baila así", 'Tito' Puente "Pachanga si, pachanga no", René Touzet compose "Pa chismoso tú", Arsenio Rodríguez "Sabor de Pachanga" et "¿Qué te parece, Juana?" ou Xiomara Alfaro "Pachanga en la sociedad". 'Mongo' Santamaría grave l'album !Arriba! la Pachanga, 'Charlie' Palmieri Pachanga at the Caravan club, 'Tito' Puente Pachanga con Tito Puente, Ray Barretto Pachanga with Barretto, Gilberto Miguel 'Joe Cuba' Calderón Pachanga brava, José Fajardo Mister Pachanga, Héctor Rivera !Charanga & Pachanga!, Belisario López Sucu Sucu y Pachanga ou Pedro 'Rudy' Calzado Pachanga time. 'Machito', Rafaél Cortijo, Tito Rodríguez s'y essayent également. Les grands danseurs du Palladium comme Joe Vega, 'Killer Joe', 'Cuban Pete', Ernie Ernsley, James Evans ou Felo Brito se convertissent eux aussi à cette danse rapide et syncopée qu'appelle la Pachanga.

Les orchestres les plus en vue sont ceux de 'Johnny' Pacheco, 'Charlie' Palmieri, Joe Quijano (Conjunto Cachana), 'Tito' Puente et Tito Rodríguez. Grâce à leurs charangas, 'Johnny' Pacheco et 'Charlie' Palmieri se partagent le titre de "roi de la musique latine". 'Johnny' Pacheco revendique même la paternité de la Pachanga en expliquant que le mot vient de la combinaison de "Pacheco" et "charanga" même si ce n'est évidemment pas la réalité.

'Johnny' Pacheco au New-York Copacabana (2004) © Allen Spatz
'Johnny' Pacheco au New-York Copacabana (2004) © Allen Spatz

Le format charanga met à l'honneur les flûtistes comme 'Pupi' Legarreta, Belisario López, José Fajardo, Eddy Zervigón, Rolando Calazán Lozano, Alberto Socarrás, Rod Luis Sánchez, José Canoura, Bobby Nelson, Gonzalo Fernández, George Castro ou Mauricio Smith.

Le faible coût du format charanga est une des clés de son succès. Dans un contexte économique difficile, cet ensemble est plus adapté que les formation de Mambo ou de Cha Cha Chá avec leur imposante ligne de cuivre et leur nombreux musiciens. Seules les stars comme 'Tito' Puente, Tito Rodríguez ou 'Machito' peuvent encore diriger de grands orchestres qui commencent à disparaître à partir de la toute fin des années 1950.

Bien que le format charanga soit bien installé, quelques musiciens en expérimentent des variantes. Ils y ajoutent des trompettes, des trombones et parfois des saxophones pour obtenir un son plus puissant et moderne. Qui introduisit le trombone en premier ? Les experts hésitent entre 3 personnalités de la musique latine : 'Mon' Rivera, Eddie Palmieri et 'Al' Santiago :

  • 'Mon' Rivera grave le disque Que gente averiguá avec Barron W. 'Barry' Rogers, Mark Weinstein, Manolín Pazo (trombones), 'Charlie' Palmieri et Eddie Palmieri (piano) ou Francisco Ángel 'Kako' Bastar (percussions) ;
  • Eddie Palmieri fonde La Perfecta en 1961 avec 'Barry' Rogers et José Rodrigues (trombones), George Castro (flûte), Ismael Quintana (chant), José Manuel 'Manny' Oquendo (percussions), Tomás 'Tommy' López (conga) et Bobby Rodríguez (basse). Son frère, 'Charlie' baptise cet ensemble trombanga(contraction entre "trombone" et "charanga") ;
  • 'Al' Santiago, directeur du label Alegre, qui produit 'Mon' Rivera et Eddie Palmieri.

Le Conjunto Cachana de Joe Quijano comprends plusieurs trompettes. La Charanga Moderna de Ray Barretto utilise également 2 trombones et une trompette. Ces modifications offrent un son plus puissant et moderne. Cette évolution prépare ce qui deviendra bientôt la Salsa et place le trombone au centre de la formation musicale. Vers 1965, le format charanga se perd peu à peu, à quelques exceptions comme l'Orquesta Broadway ou la Típica Novel.

La Pachanga résistera au succès que connaît la Bossa Nova entre 1962 et 1964 mais sera supplantée par le Boogalú vers 1965. Le mouvement aura été soudain, jouissant d'une grande popularité mais sur la durée ne sera qu'ephémère.

Quant au Jazz Afrocubain, déclinant, il est absorbé par le Latin-Jazz qui intègre également la Bossa Nova avec le Jazz brésilien.

Boogalú

Le début des années 1960 marque un changement profond dans la scène musicale de New-York. Tout d'abord, les fortes tensions entre Cuba et les USA, qui commencent à partir de la Révolution cubaine de 1959, se concluent par la rupture de leurs relations diplomatiques en 1961. Les restrictions notamment de voyage qui en découlent mettent un point d'arrêt à l'influence musicale cubaine sur les États-Unis, laissant de nouvelles opportunités aux diverses communautés latinos. Ensuite, l'attrait pour la musique latine diminue auprès du grand public, notamment chez les jeunes latinos qui sont nés aux USA, parlent anglais et ont grandi avec le Rock 'n' Roll d'Elvis Aaron 'The King' Presley. De plus, les publics Noirs et Blancs qui s'étaient rejoint autour du Mambo et surtout du Cha Cha Chá ne se mélangent plus. Les grands ensembles latins ne sont plus rentables, les musiciens connaissent des temps difficiles et jouent souvent dans de petites formations ou en tant que side-man. Les grandes maisons de disque abandonnent la musique latine. Le Palladium ferme en mai 1966. La musique cubaine se déporte vers les banlieues de Manhattan, d'Harlem et du Bronx. Les clubs situés au Chez José, Hunts Point Palace, Saint George Hotel, Colgate Gardens, Basin Street East, Hotel Diplomat, Taft Hotel ou Manhattan Centre prennent le relai.

La modification de cet environnement concorde aussi avec l'avènement du R&B et de la Soul. Face à l'immense popularité de ces styles musicaux, les groupes latins se voient contraints d'introduire la culture musicale afro-américaine dans leurs spectacles pour attirer le public noir sur les pistes de danse. Mais à côté de cela, les USA font face à un climat de contestation et de lutte contre la ségrégation. Les jeunes latinos sont en quête d'affirmation et clament haut et fort leur appartenance à une communauté et la fierté de leur culture. Ils cherchent un son qui leur ressemble et le trouvent en mélangeant les musiques latines importées de Cuba et de Porto-Rico que l'on retrouve dans le Spanish Harlem et le R&B et la Soul du quartier voisin de Harlem. Les groupes donnent naissance à ce qui sera appelé quelques années plus tard le Boogalú, pont musical entre la culture des Afro-Américains et celle des Cubains et Porto-Ricains. Les prémices du Boogalú se retrouvent déjà dans la composition "El watusi" (1962) de Ray Barretto ou la reprise de "Watermelon man" (1963) par Ramón 'Mongo' Santamaría Rodríguez

Le titre "El pito" (1965) de Gilberto 'Joe Cuba' Calderon, version latine de "I'll never go back to Georgia", lance le mouvement. Son titre "Bang bang" (1966), écrit par le chanteur Jaime 'Jimmy' Sabater, connaît un immense succés et finit de lancer la mode du Boogalú. 'Joe Cuba' devient l'ambassadeur de ce mouvement musical. L'année suivante, 'Richie' Ray édite un album nommé Jala Jala y Boogaloo avec notamment le morceau "Colombia's Boogaloo". Le titre "At the party" d'Héctor Rivera, enregistré en 1967, est également un des succès du Boogalú. Les grands orchestres tombent dans l'ombre de petits groupes, la plupart de jeunes musiciens peu expérimentés influencés par les Beatles : The Lebrón brothers, The latin souls, Pucho and his soul brothers, The lat-teens, The latin-aires, Joe Bataan, Joey Pastrana, Ralfie Pagán ou Fernando 'King Nando' Rivera.

Soudainement mis sur la touche, des artistes comme Ernesto Antonio 'Tito' Puente Jr, Eddie Palmieri, Pablo 'Tito' Rodríguez Lozada, Dámaso Pérez Prado ou Carlos Manuel 'Charlie' Palmieri se retrouvent en difficulté. Même s'ils n'éprouvent que peu de considérations pour le Boogalú, la pression est tellement forte qu'ils ne peuvent pourtant pas éviter d'en enregistrer quelques morceaux. Bien qu'ayant eu un succès très rapide, le Boogalú disparaît à la toute fin des années 1960 avec ses variantes comme le Shing-A-Ling, le Jala Jala ou le Latin Soul. L'une des raisons est la montée en puissance de la Salsa dont il est un des précurseurs. Une seconde viendrait des groupes de musiques latines bien établis qui auraient fait pression, directement ou indirectement par leur promoteurs, pour écourter les jours de ce Boogalú trop envahissant. En peu de temps, plus aucune radio new-yorkaise ne passe de Boogalú. Nombre de ses musiciens survivent en tant que sideman.

Salsa

La Salsa puise son inspiration du Boogalú qui lui insuffle spontanéité, énergie, exubérance et caractère inspiré de la rue. Mais elle est aussi issue des descargas, improvisations sur base de musiques cubaines et en particulier autour du Son Montuno, qui furent d'abord jouées à Cuba à partir de 1952 grâce notamment aux enregistrements de la maison de production Panart et à des musiciens tels que Dionisio Ramón Emilio 'Bebo' Valdés Amaro ou Israel 'Cachao' López. Aux États-Unis, 'Tito' Puente reprend le principe en 1956, puis 'Cachao' López qui quitte Cuba en 1961 influence la scène musicale new-yorkaise et Ray Barretto s'y met en 1962. Rapidement, les maisons de disque suivent, Alegre Records, Tico Records avec des formations qui rassemblent leurs meilleurs musiciens.

En 1964, l'avocat et homme d'affaire Jerry Masucci et le flûtiste Juan Pablo Azarías 'Johnny' Pacheco Knitting créent le label "Fania". Après un premier album de 'Johnny' Pacheco intitulé Cañonazo (1964), cette maison de production recrute de jeunes artistes qui produisent un son nouveau sur la base des répertoires cubains et portoricains. Louie Ramírez, Lawrence 'Larry Harlow' Ira Kahn ou Roberto 'Bobby' Valentín sont les premiers à rejoindre ce nouveau label. Ensuite, ce sera le tour du jeune William Anthony 'Willie' Colón Román qui, associé au tout aussi jeune Héctor Juan 'Lavoe' Pérez Martínez. Leur premier album El malo se vend très bien. Ce premier enregistrement marque le début d'une collaboration entre deux futurs grands noms de la Salsa, 'Willie' Colón et Héctor 'Lavoe'. Petit à petit, la Fania devient en capacité de racheter les petits labels latins en difficulté.

La première grande étape de la construction de la Salsa survient en 1968. Jerry Masucci met en scène toutes les stars de la Fania ainsi que les plus grands musiciens des autres labels en tant que guest-stars pour un concert événement au Red Garter. Ce rendez-vous s'inspire des descargas de l'Alegre All-Stars mais avec un très large ensemble. La soirée réunit la crème des acteurs de la musique latine new-yorkaise ('Johnny' Pacheco, Ernesto Antonio 'Tito' Puente Junior, Eddie Palmieri, Ricardo 'Richie' Ray, Bobby Cruz, Ray Barretto, 'Larry Harlow', Roberto 'Bobby' Valentín, 'Willie' Colón ou Peter 'Joe Bataan' Nitollano entre autres) au sein de la formation Fania All-Stars. Le concert fait salle comble mais les disques Live at the Red Garter, volume 1 et Live at the Red Garter, volume 2 du live se vend mal. Ce rendez-vous donne tout de même un contour plus formel aux descargas.

L'ossature de la Salsa est cubaine mais son public et ses interprètes sont majoritairement Portoricains. La musique présente un profil nettement cubain et le Son Montuno est au cœur de cette musique. Les diverses formations se tournent vers un format instrumental de type conjunto (piano, congas, bongos, timbales, claves, maracas, basse et section de trompettes) ou vers une variante plus moderne qui ajoute le trombone.

Jerry Masucci et Ralph Mercado tentent de renouveler l'expérience du Red Garter dans un nouveau rassemblement encore plus ambitieux le 26 août 1971 au Cheetah, discothèque renommée de New-York devenue un lieu incontrounable de la Salsa. Le public est au rendez-vous pour cette mémorable descarga qui regroupe entre autres 'Johnny' Pacheco, Ray Barretto, 'Richie' Ray, Bobby Cruz, 'Larry Harlow', 'Willie' Colón, Héctor 'Lavoe', José Luis Ángel 'Cheo' Feliciano Vega, Pedro Juan 'Pete el Conde' Rodríguez Ferrer, 'Bobby' Valentín, Ismael Miranda, Victor Guillermo 'Yomo' Toro Vega et Barron W. 'Barry' Rogers. Cet événement est aujourd'hui considéré comme l'acte fondateur de la Fania All-Stars et l'étincelle qui a déclenché le boom de la Salsa. L'album Live at Cheetah volumes 1 & 2 reste aujourd'hui l'album de musique latine le plus vendu. Le concert-événement est filmé et donnera naissance au documentaire Our latin thing (cosa nuestra) (1972) dirigé par Leon Gast. De son succès, il contribue pleinement à donner à la Salsa la dimension d'un genre majeur aux USA puis dans le monde.

La Fania connaît une croissance exponentielle. Johnny' Pacheco et Jerry Masucci veulent aller encore plus loin. Ils louent le Yanke Stadium pour y organiser un concert le 24 août 1973. Après quelques morceaux, le public composé d'environ 45.000 personnes envahit la pelouse pour s'approcher de leurs stars. Le concert est arrêté pour raisons de sécurité. En novembre 1973, la Fania All-Stars inaugure le Roberto Clemente Coliseumde San Juan, capitale de Porto Rico. Ce concert marque les débuts remarqués d'Úrsula Hilaria Celia Caridad de la Santísima Trinidad Cruz Alfonso avec la formation de 'Johnny' Pacheco. Héctor 'Lavoe' signe également l'un de ses plus grands titres, "Mi gente", et 'Cheo' Feliciano délivre l'un des plus gros succès avec "El ratón". Au milieu des années 1970, la Fania occupe une position commerciale de quasi-monopole. Sa Fania All-Stars parcourt le monde et se produit sur les scènes les plus impressionnantes.

Depuis la création de la Fania, Israel 'Izzy' Sanabria en est le designer principal. Il produit de nombreuses couvertures de disques. Grâce au support financier de la compagnie, 'Izzy' Sanabria reprend en 1973 le Latin New-York magazine. Il fait la promotion de la musique latine à New-York et offre une immense couverture médiatique aux artistes de la Fania. Il utilise pour la première fois le mot "salsa" en 1973 pour désigner la musique latine. Ce mot devient rapidement une appellation commerciale qui permet de simplifier l'accès à des musiques qui portent toutes un nom propre (Son, Guaracha, Mambo, Cha Cha Chá...). "salsa" devient un mot-slogan, facile à retenir, qui désigne un mouvement musical. La Fania martèle le mot "salsa" qui devient presque une marque de la firme. Elle fait de son "son", le son Salsa dominant. La Salsa comble le vide engendré par l'arrêt de l'exportation musicale cubaine. Cependant, le boom de la Salsa ne profite pas aux artistes cubains et les innovations apportées par Juan Clímaco Formell Fortuna restent inconnues hors de l'île. Peu d'artistes de la Fania sont cubains. La majorité est issue de Porto-Rico, République Dominicaine ou Panamá.

En majorité, les principaux artisans de la Salsa sont liés à la Fania et nombre d'entre eux participent plus ou moins régulièrement à la Fania All-Stars. Représentant plus de 60% de la population latine et 12% de la population de New-York dans les années 1970, les portoricains sont les plus représentés. Parmi les artistes qui font le succès de la Salsa dans les années 1970, on peut citer les figures incontournables comme 'Willie' Colón, Rubén Blades Bellido, Héctor 'Lavoe', 'Pete El Conde', 'Cheo' Feliciano, Eddie Palmieri, 'Larry Harlow', Ray Barretto, 'Bobby' Valentín, 'Richie' Ray, Bobby Cruz, Ismael Miranda Carrero ou Celia Cruz.

La Fania va pourtant décliner dans la seconde partie des années 1970. À partir de 1976, Jerry Masucci qui souhaite doper les ventes de la Fania signe des accords avec de grands groupes comme Columbia avec l'envie de fusionner les musiques américaines avec la musique latine afin de la vendre sur les 2 labels pour toucher un autre marché que celui de la communauté latino. Il en résulte toute une série d'albums plus ou moins réussis. Cependant, la firme peine à découvrir de nouveaux artistes qui ont le potentiel de devenir des stars. La Fania s'adapte assez mal à l'évolution de la scène musicale et parviennent difficilement à captiver les nouvelles générations d'auditeurs qui se tournent facilement vers le Rock ou la Pop... À partir de 1979, les ventes de la Fania baissent significativement et rencontre des problèmes financiers. Peu à peu, la Fania perd ses artistes. Jerry Masucci se détourne du label qu'il vend avant de partir pour l'Argentine.

De plus, la popularité du Merengue s'accroît énormément à la fin des années 1970 et au début des années 1980, notamment grâce à l'arrivée de nouveau immigrés de République Dominicaine à New-York. Les jeunes latinos apprécient ce style facile à danser. De nombreux clubs préfèrent embaucher des groupes de Merengue plutôt que des formations de Salsa. Le début des années 1980 est également marqué par le Rap. La Salsa est mise à rude concurrence et s'essouffle durant la décennie.

Le déclin de la Fania va laisser de la place à de nouveaux artistes et groupes Salsa qui pendant de nombreuses années étaient restés dans l'ombre de la Fania. Le marché de la Salsa va s'ouvrir à des groupes non-Américains et à de nouvelles stars qui viennent de Colombie, du Vénézuela, de République Dominicaine ou de Puerto Rico. On peut citer Oscar Emilio León 'Oscar D'León' Somoza, le groupe Fruko y sus Tesos, Álvaro José 'Joe' Arroyo González, la Sonora Ponceña, El Gran Combo de Puerto Rico ou le Grupo Niche. Puerto Rico et la Colombie deviennent des centres importants de la Salsa qui se répand d'abord en Amérique latine et dans les Caraïbes avant d'atteindre le Japon et l'Europe. Certains considèrent même que depuis la fin des années 1980, Cali est la capitale de la Salsa.

Bien qu'au milieu des années 1970, certains musiciens cubains arrivés après la Révolution ravivent l'intérêt pour le folklore afro-cubain ainsi que pour le genre traditionnel cubain, c'est la Salsa Romántica introduite par Louie Ramírez qui attire le public au début des années 1980. Cette Salsa mélangée à des balades, au rythme ralenti et aux thèmes centrés sur les sentiments amoureux, met en lumière de jeunes chanteurs dont le sex-appeal fait oublier la qualité de la musique. Entre les années 1980 et 1990, la Salsa Romántica se répand facilement dans les Caraïbes et l'Amérique latine. À la fin des années 1980, apparaît la Salsa Erótica ou Salsa Sensual comme variante de la Salsa Romántica. Les modifications se trouvent au niveau des paroles dont le contenu est plus ouvertement sexuel.

Latin Pop

Après l'arrivée au pouvoir Fidel Castro en 1959, de nombreux cubains s'installent à Miami. Dans les années 1970, les premiers orchestres d'importance seront Los Sobrinos del Juez ou celui de Wilfredo José 'Willy' Chirino qui vont introduire "The Miami sound". Mais le groupe le plus marquant sera celui fondé en 1974 par le cubain Emilio Estefan Gómez avec son Miami Latin Boys. En 1977 son épouse, Gloria María Milagrosa Fajardo García Estefan, rejoint le groupe est re-baptisé Miami Sound Machine. La popularité du groupe décolle en 1984 avec le hit "Dr. Beat" mais surtout en 1985 avec le tube planétaire "Conga" qui propulse la carrière de Gloria Estefan. En 1987, le groupe met en avant la chanteuse principale en prenant le nom de Gloria Estefan and Miami Sound Machine. Cette Latin Pop au son cubain, aux influences sud-américaine et au groove américain séduit tout public.

La Latin Pop va inspirer une autre future star. Parmi elles, Enrique 'Ricky' Martin Morales qui participe grandement à l'explosion de ce genre musical, Jennifer Lynn Lopez considérée comme la plus influente des artistes latino-américains, Shakira Isabel Mebarak Ripoll ou Marc Anthony, entre autres.

À partir des années 1990, la distinction entre Salsa Romántica et la Salsa "classique" s'efface peu à peu. Des artistes comme 'Marc Anthony', 'La India', Gilberto Santa Rosa ou Víctor 'Manuelle' popularisent une Salsa grand public qui perd de sa spontanéité, de son énergie et de sa virtuosité. L'éphémère boys band d'origine cubaine, Dark Latin Groove ou DLG qui signa l'album Swing On, est un autre exemple de cette Salsa qui ne présente que peu d'intérêt.

Cette Salsa perd de sa popularité face à d'autres rythmes caribéens dont le Merengue qui, malgrè une attention moins soutenue du public par rapport à la décennie précédente, continue d'être actif mais aussi la Bachata. Cette dernière est largement diffusée par le chanteur Juan Luis Guerra qui signe le hit "Burbujas de amor" (1990) ou par le groupe Aventura du Bronx connus pour leur morceau "Obsesión".

Renouveau de la Salsa

Depuis la Révolution cubaine, les évolutions musicales que connaît Cuba restent pratiquement ignorées par les USA. Seuls les amateurs avertis prennent connaissance du Songo ou de la Timba naissante. Le renouveau de la Salsa viendra du succès planétaire du Buena Vista Social Club. Le disque du même nom rencontre un immense succès avec plus de 5 millions de ventes et obtient un Grammy Award en 1997. Le Buena Vista Social Club fait découvrir au grand public plusieurs musiciens cubains dont Máximo Francisco 'Compay Segundo' Repilado Muñoz, Ibrahim Ferrer, Eliades Ochoa, Omara Portuondo Peláez, Rubén González Fontanills, Pío Leyva ou Manuel 'Puntillita' Licea Lamouth.

Les enregistrements de ces musiciens, pour la plupart des superabuerlos (super grand-pères), sont classés au rayon "Cuba" ou "musique du monde" mais souvent assimilés à la Salsa. Ils permettent de faire re-découvrir la musique cubaine qui est commercialisée comme "Salsa cubaine" pour le grand public. L'adjectif "cubaine" permet de la différencier de la Salsa new-yorkaise, en oubliant au passage que la musique cubaine représente le fondement de cette musique. Par extension, le Buena Vista Social Club aide à faire connaître la musique cubaine (la Timba en particulier) mais aussi la musique latino-américaine en général.

Au début des années 2000, plusieurs groupes relancent la Salsa Dura des années 1980. L'un des plus fameux est le groupe colombien Orquesta La 33. Ils se distinguent par une musique de très bonne facture. Leur tube majeur est une reprise de "La panthère rose" baptisé "Pantera Mambo" (2004). On peut également citer le tromboniste américain Jimmy 'El Trombon Criollo' Bosch qui a accompagné de nombreuses stars avant de se lancer en solo en 1996.

La Salsa doit tout de même faire face à la Latin Pop qui continue de produire des tubes comme "La camisa negra" du chanteur colombien Juan Esteban 'Juanes' Aristizábal Vásquez mais aussi au Rap Latino représenté par Armando Christian 'Pitbull' Pérez, au Hip-Hop Latino symbolisé par le groupe cubain Orishas et au Reggaetón mis en avant par Ramón Luis 'Daddy Yankee' Ayala Rodriguez.

Musiques latines aux USA :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *


The reCAPTCHA verification period has expired. Please reload the page.