Le Punto Guajiro

Le Punto Guajiro, aussi appelé Punto Cubano ou tout simplement Punto est né à Cuba au cours du 18ème siècle (et même à la fin du 17ème selon Helio Orovio) dans les campagnes de l'ouest et du centre de l'île. Le Punto Guajiro est l'une des premières formes originales de música campesina ou musique campagnarde (le mot Guajiro signifie d'ailleurs "paysan blanc").

Naissance du Punto Guajiro

La plupart des premiers planteurs de tabac de l'ouest de l'île étaient originaires d'Andalousie (18% de la population histpanique de l'île au 18ème siècle) et surtout des Canaries (35% de la population hispanique de Cuba au 18ème siècle), principale escale sur le trajet Espagne-Cuba. Ces derniers, ayant assimilé les diverses formes de la musique andalouse, les ont donc amenées avec eux. Mariées aux élèments africains déjà présents sur l'île, ces formes de musiques andalouses se sont créolisées pour donner une forme musicale cubaine, le Punto Guajiro.

Comme le note la musicologue María Teresa Linares, les similitudes entre le Punto Guajiro et certains styles de Flamenco comme la Bulería et la Seguidilla sont fortes. Elle souligne la prédilection pour les voix aigües et nasales comme dans les chants populaires des Canaries. Bien qu'il soit communément admis que les origines du Punto Guajiro sont andalouses enrichies d'éléments canariens, ce style musical est bien d'origine cubaine car c'est dans l'île qu'il s'est enrichi des percussions africaines.

La culture européenne se manifeste surtout, à cette époque, au sein des classes sociales les plus aisées, dans les grands salons, les théâtres ou les salles de bal des lycées les plus prestigieux. On y danse sur la Zarzuela espagnole, la Contredanse, l'Opérette et des airs d'Opéra. Les classes moins élevées organisent également des festivités mais pourvues d'un caractère plus humble, plus populaire. Ce sont les guateques (fêtes paysannes).

C'est donc durant ces fêtes campesines, pendant lesquelles les musiciens et chanteurs improvisent en toutes occasions pour distraire le public et les gens dansent le Zapateo, que le Punto Guajiro va naître et se développer.

Cette petite colonie de paysans blancs va initier les Noirs à leur musique et parmi ceux-ci, on peut citer les premiers chanteurs au début du 20ème siècle : Antonio Morejón, Martín Silveira, Juan 'El Cojo' Pagés, Miguel Puertas Salgado ou Horacio Martínez.

À partir de la moitié des années 1920, la radio joue un rôle important dans la diffusion du Punto Guajiro dans le monde paysan, mais aussi vers les zones urbaines. Entre 1930 et 1950, la radio lui permet de conserver une audience nationale bien que l'industrie du disque se tourne vers la musique dansante. Les années 1940 à 1950 prennent le nom de edad de oro del Punto Guajiro ("âge d'or du Punto Guajiro"). Après la Révolution, la télévision dont le programme Palmas y cañas permet la promotion d'artistes connus mais aussi de musiciens régionaux. La chanteuse Celina Catapang González Zamora, connue comme "la reine de la musique paysanne", est l'une des plus grande représentante du Punto Guajiro.

Instrumentation

Le Punto Guajiro est avant tout un art d'improvisation verbale. Les chanteurs ou repentistas, qui préfèrent s'appeler eux-même plus simplement poetas (poètes), sont ceux qui créent des repentes, vers trouvés sur "le vif" et "à l'emporte-pièce" pourrait-on traduire. Si la musique n'y est certes pas accessoire, le Punto Guajiro se définit avant tout comme une poésie spontannée. C'est pourquoi il a longtemps été peu valorisé par les musicologues : même Alejo Carpentier n'y fait que de brèves allusions.

Le plus souvent, les improvisations se développent autour de dizains (décimas en espagnol), ce qui explique que les repentistas sont aussi appelés decimistas. Dans une moindre mesure, le quatrain peut également être utilisé. Les thèmes abordés dans le Punto Guajiro sont variés : chronique sociale de la vie quotidienne, poèmes soulignant la beauté de la campagne ou des femmes cubaines...

Dans son Diccionario provincial casi razonado de voces y frases cubanas de 1836, Esteban Pichardo appelle le chant le ay, le ey, le ay el ay ou le llanto. On trouve aussi ay-el ay, ay-el-ay, ayayay ou ayn. Ces noms viendraient du fait que les repentistas avaient l'habitude de commencer leurs improvisations par l'interjection "ay".

L'accompagnement instrumental du Punto Guajiro inclut en général des instruments à cordes issus ou dérivés de l'instrumentation espagnole : le tiple (petite guitare composée de 5 cordes ou 5 paires de cordes) puis la bandurria (guitare espagnole à six cordes) et le laúd (luth à six paires de cordes joué avec un plectre), la guitare puis le tres et des instruments percussifs d'origine africaine ou amérindienne : güiro, clave ou maracas. Des fois, la rythmique peut être complétée par un guayo, par des bongos ou par un taburete (chaise rustique avec assise en cuir). Les instruments à cordes sont joués punteado (pointé). L'accompagnement est effectué sur un mode majeur à l'exception des mélodies dites española, Carvajal (du nom d'un chanteur paysan qui en composa un grand nombre et popularisa cette forme du Punto Guajiro) ou plus rarement tristes qui présentent une influence andalouse forte (traces du mode phrygien).

Comme les chants sont improvisés, les pièces n'ont en général pas de titre. Il est assez fréquent que la mélodie du chant, la tonada, soit retenue indépendamment de l'accompagnement musical.

Dans son dictionnaire, Esteban Pichardo nomme l'accompagnement musical le Punto ou Punto de Harpa (quand à l'époque, la harpe était utilisée) bien que dans une ré-édition, il transforme le Punto de Harpa en variante du ay de caractère sentimental, en mode majeur et structurée sur une mesure en 2/2.

Les diverses formes du Punto Guajiro

À cause de la difficulté de communication entre les diverses régions cubaines, plusieurs formes de Punto Guajiro ont vu le jour :

  • le Punto libre (aussi appelé Punto pinareño ou Punto vueltabajero) qui vient des provinces les plus à l'ouest : Pinar del Río, Havane et Matanzas. C'est la forme la plus reconnaissable du Punto Guajiro. Les instruments cessent de jouer quand le chanteur commence à chanter. Le laúd ou la guitare ne jouent alors que quelques légers accents ou fills pour souligner le chant. Comme son nom l'indique, le chanteur est libre dans son interprétation, ce qui rend son chant plus fluide et mélodique, sans contrainte de tempo. En général, il est plus lent que les autres formes de Punto Guajiro ;
  • le Punto fijo (Punto camagüeyano ou Punto villareño) qui vient des provinces de Camagüey, Villa Clara, Cienfuegos, Sancti Spíritus et Ciego de Ávila. Fijo signifie fixe. En effet, dans cette forme de Punto Guajiro, l'accompagnement reste constant, même durant les partie chantées. La ligne mélodique ne varie pas. Le tempo est constant et la clave ne s'arrête pas (pour cela, on l'appelle aussi Punto Clave). Le chant conserve un même air de métrique régulière ;
  • la Controversia qui est une joute verbale chantée sur la base d'un dizain octosyllabique (strophe de dix vers à huit pieds), le plus souvent par deux hommes. Dans cette confrontation, les repentistas cherchent à produire la meilleure improvisation. Les règles sont variables : le premier chante un dizain complet dont le second chanteur doit reprendre le dernier vers pour en faire le premier de son propre couplet ou le premier chanteur s'arrête au quatrième vers, le second devant aussitôt inventer les six autres. Le thèmes ou vers initial est parfois tiré dans un chapeau. Le public a l'habitude de prendre parti pour un des repentistas identifié par un emblème de couleur, souvent le bleu ou le rouge, symbolisé par un foulard attaché autour du coup. Souvent, la Controversia est divisée en trois parties : la parte de tanteo ou parte de hilvanación, qui inclut les décimas de salutation, la partie durant laquelle se développe la confrontation et la parte de desenlace qui comprend les dizains de fermeture avant que les improvisateurs ne se retirent. Le couple Adolfo Alfonso et Justo Vega est l'un des plus connus dans l'art de la controversia. Le Pie Forzado est une variante dans laquelle le chanteur doit terminer son dizain par un vers imposé, d'où l'adjectif forzado qui signifie forcé ;
  • la Seguidilla, Segadilla ou Punto de Seguidilla, moins fréquent, aujourd'hui presque disparu, dans laquelle plusieurs dizains sont chantés consécutivement sans interruption. Un groupe de 4 dizains porte le nom de glosa ;
  • le Punto cruzado. Dans ce Punto Guajiro, qui est une variante du Punto fijo, le chanteur ne commence pas au début d'une mesure. L'amorce de ses vers est inspirée par les syncopes de l'accompagnement ;
  • le Punto de parranda, variante du Punto fijo qui se pratique à Sancti Spíritus et à Ciego de Ávila. Les dizains sont chantés consécutivement sans pause. La voix, nasale et aiguë, est accompagnée de percussions et d'un violon qui ne sert que de contre-point, il ne joue aucune mélodie ;
  • le Punto matancero qui vient de la province de Matanzas ;
  • le Punto espirituano ou Punto spirituano, variante du Punto fijo qui vient de la province de Sancti Spíritus. Il se chante en général à 2 voix.

Le Punto Guajiro fut également amené en Espagne, dans le processus de ida y vuelta (aller-retour) culturel, où il prend le nom de Punto habanero ou Punto de la Habana. On trouve trace de ce genre musical dès les années 1820/1830.

Les rythmes du Punto Guajiro

Le Punto Guajiro est construit sur une base ternaire de type 3/4 ou 6/8. Le Punto Guajiro inclut généralement la clave suivante :

Punto Guajiro (clave)
Punto Guajiro (clave)

Voici un exemple de Punto libre (extrait du site SalsaBlanca de Jon Griffin) :

Exemple de Punto libre
Exemple de Punto libre

Voici quelques idées de chanteurs à écouter :

  • Celina González
  • Polo Montañez, surnommé le 'Guajiro Natural'

L'album Te invoca mi sueño herido - Decima y Punto Cubano présente un joli aperçu des diverses formes de Punto Guajiro.

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