La Guajira

Naissance de la Guajira

La Guajira vit le jour dans l'Oriente de Cuba durant la seconde moitié du 19èmesiècle. Cette fille du Punto Guajiro est empreinte du folklore et des éléments caractéristiques de la musique d'Andalousie et des îles Canaries. Accompagné d'un tiple (petite guitare composée de 5 cordes ou 5 paires de cordes), d'une guitare ou d'un laúd (luth à six paires de cordes joué avec un plectre), le chanteur évoque le style de vie et le milieu rural d'où le nom de Música de los guajiros ou Música guajira et plus simplement Guajira, nom donné aux habitants des zones rurales cubaines. Par la suite, l'instrumentation se complète avec de petites percussions comme des maracas.

La Guajira possède de nombreuses similitudes avec le Punto Guajiro et la Criolla. Contrairement au Punto Guajiro qui est centré sur le texte plus que sur la mélodie, la Guajira possède un rythme cadencé.

Jorge Anckermann
Jorge Anckermann

Entre la fin du 19ème et le début du 20ème siècle, la Guajira trouve sa voie dans la musique jouée au sein du théâtre cubain. On attribue généralement la paternité de la Guajira à Jorge Anckermann Rafart, pianiste, contrebassiste, compositeur et directeur d'orchestre avec son morceau "El arroyo que murmura" interprété en 1899 dans la pièce Toros y gallos de Gustavo y Francisco Robreño Puente.

Musicalement, la Guajira est un mélange de rythmes en 3/4 et en 6/8. Selon le musicologue cubain Eduardo Sánchez de Fuentes, sa première section est jouée en mode mineur et sa seconde partie est en mode majeur. La structure harmonique est simpliste (tonique, sous-dominante et dominante). Elle se conclut toujours sur la dominante. Les improvisations parsemées de conte-temps relèvent cette sobriété musicale. Des exclamations, ponctuant parfois les solos, encouragent les musiciens et relancent le rythme.

Les textes de la Guajira évoquent le milieu campagnard de manière bucolique et idéalisée, parfois sur le ton de la nostalgie. Ils louent en général la beauté des campagnes et le mode de vie des paysans mais peuvent aussi évoquer la beauté de la femme et l'amour que l'on peut lui porter. Généralement, le texte se présente sous forme de vers qui riment, souvent sur le modèle de la décima.

Plus tard, au milieu des années 1930, José Guillermo 'Portabales' Quesada del Catillo, guitariste et chanteur développe une Guajira plus sophistiquée et moins empreinte de rusticité, la Guajira de salón. Il contribua à faire connaître ce genre musical sur le continent américain. D'autres auteurs comme Berto González ou Ramón Veloz vont se rallier à cette Guajira.

La Guajira des années 1930

Le répertoire de la Guajira, dans sa forme originale, est tombé dans l'oubli au fil du temps, notamment à cause de la naissance de la Guajira-Son. Cette forme musicale, née entre la fin des années 1920 et le début des années 1930, porte aussi le nom de Guajisón ou plus simplement l'appellation ambiguë de Guajira. Elle est issue du mélange entre la Montuna (Son oriental) et la Guajira originale sous l'influence du morceau internationalement connu "Guajira guantanamera" (la paysanne de Guantánamo) concédé à José 'Joseíto' Fernández Diaz en 1993 par la Cour Suprême de Cuba. Le musicologue Natalio Galán indique également une influence du pasacallo du Bolero.

Membre du sexteto Los dioses del amor de Raimundo Pía y Riveiro, 'Joseíto' Fernández débute sur les ondes de 2BX en 1925 et interprète ses premières compositions dont celle qui deviendra la "Guajira Guantanamera", qui passe inaperçue. Le titre de 'Joseíto' Fernández, en constante évolution grâce à ses improvisations, s'assure tout d'abord diffusion puis connaît un vrai succès grâce à Radio Lavín, aussi connue comme radio CMCO, où il est interprété avec la formation Orquesta Típica d'Alejandro Riveiro à partir de 1936 (d'autres sources indiquent 1935 et 'Joseíto' Fernández se rappelle que ce serait "vers 1934"). 'Joseíto' Fernández trouve chaque jour des vers différents.

'Joseíto' Fernández fournit dans sa vie différentes versions sur les circonstances et la date de la création de la chanson. Celui-ci expliqua par exemple qu'il travaillait dans un local radio où il rencontra une jeune femme originaire de Guantánamo. Cette dernière lui apportait un en-cas pour le repas et restait discuter avec lui. Un jour, elle le surprit avec une autre femme et, furieuse, elle lui arracha le sandwich et s'en alla. Pour rattraper la situation, il dédia le refrain à cette "guajira guantanamera". La chanson plut au public qui lui écrivit et l'appela à la radio pour lui témoigner son goût pour son improvisation. Ensuite, il décida de chanter de cette façon, en commençant par "guantanamera...". Ainsi, un jour ce pouvait être "guajira guantanamera", un autre "guajira vueltabajera", le suivant "guajira holguinera" ou "guajira camagüeyana"... mais jamais "guajira santiaguera".

'Joseíto' Fernández
'Joseíto' Fernández

Dès 1941, 'Joseíto' Fernández prend l'habitude d'improviser, sur l'air de Guajira guantanamera, des commentaires sur les nouvelles de la journée dans l'émission El suceso del día à la radio CMQ. Le 12 septembre 1940, 'Joseíto' Fernández grave pour RCA Victor les titres "A mi madre", "La mujer cubana", "Mi orquesta" et "Mi biografía" avec l'orchestre d'Alberto Beque. À l'emplacement où l'on indique d'ordinaire le style du morceau, il y mentionne "Guajira Guantanamera". En 1941, Joseíto con su Orquesta Típica enregistre "Guarda barreras" et une autre version de "Mi biografía". Ces 2 morceaux sont sous-titrés "Guantanamera" et comprennent le fameux refrain "guantanamera, guajira guantanamera". En 1943, la chanson devient le générique final de l'émission de radio El suceso del día.

Peu après, Alfredo Valdés en grave une version à New-York. Mais c'est en 1965 que ce titre connaît un succès international et devient un emblème de Cuba, lorsque Pete Seeger l'interpréta en employant, en guise de paroles, les Verso sencillos du poète José Martí adaptés dans les années 1950 par Julián Orbón. The Sandpipers reprennent la chanson la même année et la classent dans les 10 premières places des charts américains et anglais. Nombre d'autres chanteurs dont Leo Brouwer (1961) ou Joe Dassin (1966) reprirent ensuite ce standard.

La signature rythmique de la Guajira-Son est 4/4. Son tempo est généralement lent. Sa structure est simple et souvent de type A-B-A-B ou A-B-B-A. Peu à peu, son instrumentation s'enrichit d'une contre-basse et parfois d'un piano.

Comme beaucoup de rythmes cubains, la Guajira sera combinée à divers rythmes comme le Pilón pour donner la Guajira-Pilón ou avec le Shake pour former la Guajira-Shake.

L'origine de la Guajira contestée

La paternité de 'Joseíto' Fernández pour la "Guajira guantanamera" est contestée, d'autant plus que ses explications sur la création de la chanson sont confuses et diverses. Les musicologues l'attribuent plutôt au tresero Herminio 'El Diablo' García Wilson de Guantánamo. En juillet 1929, il travaillait dans la rue quand un de ses amis, 'Pipi' Corona, vit une belle femme et lui adressa un "piropo". Elle n'apprécia pas et rejeta le compliment galant. Ce dernier s'exclama : "qu'est-ce qu'elle s'est imaginée cette guajira (paysanne) guantanamera ?". 'El Diablo' Wilson chercha alors une mélodie pour souligner cette interjection. La nuit même, il la joua dans une fête chez Silverio 'Toto' Bosch Dubois en compagnie de Chito Latamblé et 'Pipi' Corona. Ensuite, au sein de la formation Cuarteto Cubano, 'Pipi' Corona entouré de Juan Limonta, Rigoberto 'Maduro' Hechavarría et Joaquín Garcia l'aurait joué à Santiago, Palma Soriano, Bayamo et la Havane, comme thème de présentation du groupe.

Dans la capitale, ce Son aurait été découvert par José 'Cheo' Marcelino Diaz Marquetti puis l'aurait converti en Guajira-Son : la première partie en Guajira et la deuxième avec le Montuno du Son créé par 'El Diablo' Wilson. Ce n'est qu'ensuite que 'Joseíto' Fernández aurait commencé à la chanter avec ses apports propres.

'El Diablo' Wilson réclama la paternité du refrain de "Guajira guantanamera" mais au cours du procès qui eut lieu en 1993, la Cour Suprême de Cuba l'attribua à 'Joseíto' Fernández. La décision fut rendue non sur la base du droit d'auteur mais sur les délais de réclamation, trop long par rapport à la loi cubaine pour une revendication de propriété sur des biens matériels. D'autre part, 'El Diablo' Wilson fut accompagné durant son procès par le musicologue Santiago Moreaux Jardines à cause de son âge avancé. Ce dernier avoua plus tard qu'il n'avait pas voulu écorner l'image de 'Joseíto' Fernández, figure nationale alors décédée, mais qu'il considérait également que l'œuvre "Guajira guantanamera" est collective, l'auteur initial étant 'El Diablo' Wilson.

Version espagnole

Au travers du processus que les musicologues nomment de ida y vuelta (d'aller-retour), la Guajira atteint les côtes espagnoles à la fin du 19ème siècle. Manuel Silverio Franconetti y ajoute des éléments du Flamenco pour créer une variante qu'il est le premier à appeler Guajira. Par la suite, Curro Dulce, Don Antonio Chacón García ou Manuel 'Manuel Escacena' Jiménez Centeno accentuent ces traits Flamenco.

José 'Pepe Marchena' Tejada Marín reprend cette Guajira, temporairement oubliée, dans les années 1920 pour enrichir sa mélodie. Il grave plus d'une douzaine de titres comme "Contigo me caso indiana" ou "Es la mulata un tarrón de azúcar". Juanito Valderrama Blanca, Jacinto Antolín Gallego Almadén, Dolores 'la Niña de la Puebla' Jiménez Alcántara et plus récemment Luís 'Luís de Córdoba' Pérez Cardoso ont ensuite produit une profusion de titres de cette forme de Cante Flamenco.

Voici quelques références musicales :

  • "El arroyo que murmura" de Jorge Anckermann Rafart - Guajira
  • "El madrugador" de José Ramón Sánchez - Guajira
  • "Al vaivén de mi carreta" (1936) de Benito Antonio 'Ñico Saquito' Fernández Ortiz - Guajira
  • "Amorosa guajira" (1937) de Jorge González Allué - Guajira de salón
  • "Gajira guantanamera" (1928) de José 'Joseíto' Fernández Diaz - Guajira-Son

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