Le Gagá

Le Gagá ou Gaggá est un rythme haïtiano-cubain qui dérive du Rará ou Ra-rá haïtien. Il est pratiqué dans la région de l'Oriente cubain et notamment autour de Santiago de Cuba. On retrouve également le Gagá en République dominicaine où il est bien plus pratiqué qu'à Cuba.

Le Rará en Haïti

En Haïti, le Rará ou Ban a Pye est une forme de musique festive jouée durant les processions de rues du même nom qui se déroulent durant la semaine sainte chrétienne, au début du printemps. Haïti a hérité de cette tradition d'origine africaine, plus particulièrement du Kongo et de l'Angola, suite à l'afflux d'un grand nombre d'esclaves africains transportés vers l'île pour faire fonctionner l'industrie sucrière. Durant cette période, les esclaves et affranchis avaient l'autorisation de défiler en exhibant leurs propres traditions. Sous couvert d'un vernis de culture coloniale chrétienne, ils pouvaient alors manifester publiquement leur africanité.

Traditionnellement, le carnaval défile dans les rues, circulant de quartiers en quartiers et de villages en villages entre le jeudi et le samedi, intégrant sur son passage les groupes de musiciens et de danseurs et les spectateurs qui s'unissent à cette célébration. Le mot rará pourrait être issu d'un terme yoruba qui signifie "faire du bruit".

Les bandas Rará ou bandes Rará, groupes de Rará, possèdent une organisation sociale hiérarchisée avec un wa (roi), une renn (reine), un hougan (un prêtre), une mambo (prêtresse), un majò jon, majè jon ou major jonc (chef danseur qui manie le jonc, bâton d'un mètre de long, en même temps qu'il exerce les pas de danse), un major machet (qui crée des mouvements avec des machettes), un major table (qui soulève une table en la prenant entre ses dents)... Chacun a un rôle déterminé. Durant le défilé, les hommes portent à la ceinture des foulards de couleur et des couvre-chef colorés.

Le Rará est un mélange paradoxal de carnaval et de religion (Vodú). Les orchestres s'arrêtent aux lieux religieux importants comme les cimetières, où ils saluent leurs morts et demandent protection et vie meilleure. Dans le domaine religieux, le Rará peut aussi être utilisé comme section récréative profane dans une cérémonie Vodú pour en faire redescendre la tension. Du point de vue culturel, le Rará rappelle les célébration de joie des anciens esclaves.

Comme pour le carnaval, la correspondance avec le calendrier chrétien date de la période française pendant laquelle la loi coloniale accordait congé pour la semaine sainte, période de l'année pendant laquelle il n'y a pas de moisson, laissant le temps aux paysans de festoyer.

Certains, dont l'ethnologue Jean Coulanges, considèrent que le Rará est un héritage des Taïnos qui habitèrent l'île avant la colonisation. Il serait lié à l'équinoxe de printemps, jour consacré par les Mayas à la nature. De plus, les traces des majors jonc se retrouvent chez les Mayas, notamment dans le Yucatán au Mexique. Le Rará aurait par la suite été adopté par les esclaves africains. Le syncrétisme religieux serait ensuite venu se greffer à cette fête, donnant la coïncidence avec le calendrier chrétien. Ceci amena à penser que les manifestations Rará sont des festivités païennes.

Le Gagá à Cuba

Suite à la Ley de inmigración y colonización instaurée en 1906 pour faire face au manque de main d'œuvre dans les plantations sucrières cubaines, une importante vague d'immigration fait entrer de nombreux haïtiens à Cuba. Ceci permet d'introduire le Rará vers l'Oriente cubain où il est connu sous le nom de Gagá.

Koni
Koni

Depuis le 19ème siècle, les haïtiens libres avaient le droit de défiler pour certaines fêtes, à l'image des cabildos de nacion. C'est le cas pour la semaine sainte, donnant lieu au Gagá de la semana santa.

Le défilé de Gagá est annoncé le jeudi au son du koni, lambí, lanbi ou guamo (coquille de conque strombus giga), signal de rassemblement du peuple autour des groupes de musiciens et danseurs qui arborent leurs drapeaux de couleurs vives agité par le pòt drapo. Les hommes portent un foulard rouge sur la tête. Chaque une communauté haïtienne est représentée par un groupe.

Traditionnellement, la cérémonie du caoline, kaoline, kaolín ou kaolina a lieu le jeudi matin à 10 heures. Cet instrument, aussi appelé tambor-marogouin ou maringouin piga zombi en Haïti, possède un caractère rituel lié aux défunts. Il est composé d'une corde reliée à une cavité creusée dans le sol qui joue le rôle de caisse de résonance. Dans certains lieux à Camagüey, un lézard vivant ou une boîte remplie d'eau sont placés dans le trou.

Ensuite, débute le défilé pendant lequel les participants se défient au cours d'exploits physiques dont les accessoires ne sont pas moins que des machettes ou des bâtons de feu. C'est peut être de là que vient le mot gagá qui signifie "fou" ou "idiot" en créole. Chaque jour, des chants et des danses permettent d'honorer une déité particulière. Quand la procession arrive à un croisement de route, un tribut est rendu à Criminelle et à diverses Loas petros. Quand les groupes s'arrêtent dans un village, la reine présente ses hommages au chef de la communauté visitée. Le pòt kobèy récolte les donations suscitées par le spectacle offert aux spectateurs.

Le dimanche, le défilé retourne à son point de départ pour brûler une poupée de chiffon appelée jwif, juif ou dyab (diable) pour conjurer le sort. Le caoline est démonté.

Le Gagá est introduit dans un contexte urbain à partir de 1963 par une comparsa haïtienne pour le carnaval de Santiago. À partir des années 1970, de nombreuses recherches vont étudier la présence de la culture haïtienne à Cuba et donner plus de visibilité au Gagá. Outre les fêtes chrétiennes, toute manifestation culturelle ou spectacle folklorique permet de le montrer. La disparition de son caractère religieux va notamment s'expliquer par le fait que peu d'haïtiens vivent maintenant à Cuba et que ceux qui maintiennent la tradition ont un âge avancé. Ceci a donc mené à réduire le Gagá au seul aspect de célébration (défilé grouillant et bouillant accompagné de musiques, danses et défis), qui n'en est que la surface visible.

Aujourd'hui, le Gagá est l'un des faits culturels les plus marquants de tout l'Oriente cubain (Santiago, Holguín et provinces de Ciego de Ávila, Camagüey et Las Tunas) et constitue l'un des piliers du carnaval annuel dans la région. Par son caractère ouvert, itinérant et spontané, il est le style qui a le plus réussi son intégration dans la musique populaire cubaine. Ayant en grande partie perdu ses aspects rituels même si les textes peuvent faire référence au Vodú, les cubains arrivent à considérer le Gagá comme une variante des défilés carnavalesques de Conga, une "Conga haïtienne" ou "Conga rurale".

L'instrumentation

L'ensemble instrumental qui joue le Gagá se nomme comisí ou comisie. Il est dirigé par le major sambá.

Instrumentation haïtienne

Konet
Konet

En Haïti, l'instrumentation du Gagá se distingue par l'utilisation d'aérophones tels que le bak-sín, basin, vaccine, bambou ou fututo (trompe en bambous creux). Ces aérophones ne produisent qu'une seule note grave, dans le registre de la contrebasse. La mélodie résulte de la combinaison des notes produites par chacun d'entre eux. En même temps que le musicien souffle dans cet instrument, il le percute à l'aide de baguettes pour créer la partie de kata, base rythmique. Les vaccines traditionnels sont accompagnés de longues trompettes en métal appelées konet, kònè ou tua-tuá.

Cet ensemble mélodique est complété par divers tambours. Le manman (plus grave), le segon et le kata (plus aigu) de la famille Petro sont remplacés par un ensemble plus maniable, pour être joué durant le défilé, composé d'un manman, un kata et un bas. Le manman et le kata ne possèdent qu'une seule peau en cuir de chèvre. Le bas (du français "basse"), aussi appelé tambourin, est un tambour sur cadre (en anglais frame drum) à fort diamètre. Ces tambours s'accordent grâce à un système de cordes et de chevilles : la peau en cuir de chèvre est tendue par des cordelettes qui se réunissent au centre et sur la face arrière du tambour. Le tambour kès, tambour bimambranophone en peau de chèvre, joue le rôle de caisse claire et peut parfois remplacer le kata. Il est joué à l'aide de 2 baguettes.

S'ajoutent des percussions mineures comme le graj (sorte de grattoir en fer qui est frotté), les maracas ou cha-chás, l'ogan (cloche) et le sifflet. Ces instruments sont en général constitués d'éléments de récupération comme une boîte de conserve (lata) ou un seau métallique.

Instrumentation cubaine

Vaccine
Vaccine

À Cuba, les ensembles de Gagá ont d'abord été composés de :

  • un tambourin, tambujé, tambué ou pandereta, tambour sur cadre à fort diamètre donc au son grave appelé bas ou tambú bas ou bas en Haïti, qui détient le rôle de l'improvisation ;
  • un triyang, trian, trián, trillán, triyang ou triyán (du français "triangle"), plaque métallique, cloche sans battant, lame de houe, soc de charrue on pièce mécanique métallique percutée par une batte. Communément appelé guataca, elle maintient la ligne rythmique à l'image de la clave. Le musicien qui joue de cet instrument est appelé le sambá. En général, il guide le chant ;
  • un catá, cata, katá ou yucca, qui répond au rythme du triyang par rythme stable appelé kintolé ou cinquillo. Cet instrument, d'abord bois puis en métal, remplace vraisemblablement le rythme frappé sur les basins en Haïti. En métal, sous le nom de lata, il est souvent créé à partir d'une boîte de conserve métallique d'huile ou d'une grosse conserve à laquelle on ajoute une corde pour pouvoir le transporter tout en jouant à l'aide de 2 baguettes ;
  • au moins 3 basins, de plus petite taille qu'en Haïti, que les musiciens ne percutent pas avec une baguette ;
  • quelques konis, lambís, lanbis ou guamos, coquilles de conques dans lesquelles on souffle. Ces instruments ne produisent que peu de notes, la mélodie est donc créée par plusieurs musiciens ;
  • des percussions mineures : sonnailles, maracas, hochets...
  • des sifflets qui servent à guider la chorégraphie.

Parfois, s'y ajoute un kès, appelé kongo ou timbalito à Cuba. Certaines sources citent un ensemble de 3 tambours cylindriques nommés tambú, curt et decumpé que l'on joue avec des baquettes (baguettes).

Plus rarement, des tambours radás sont utilisés. Le défilé fait alors une pause afin que les musiciens puissent s'installer vu les dimensions des ces tambours difficilement transportables.

Au fur et à mesure de son intégration dans la musique cubaine, la configuration des ensembles de Gagá changea considérablement et peu à peu les instruments cubains ont remplacé les instruments haïtiens. Il est assez fréquent de remplacer les tambours originaux manquants dans les formations haïtiano-cubaines par la tumbadora ou par des tambours de carnaval comme les tambours bombos et bocús. Les claves, les maracas ou le chékéré peuvent se substituer aux idiophones originaux.

Les rythmes

Le Gagá se joue à un rythme soutenu voir même effréné quand musiciens, danseurs et spectateurs sont électrisés. Il possède diverses variantes binaires comme :

  • le Gagá chay (qui signifie "Gagá pesant, lourd"), Gagá pye ou Gagá pie au tempo modéré, pour défiler, donc privilégiant l'utilisation des basins, tambujés et latas aux tambours. Ainsi, il est également appelé Gagá baksín, Gagá bak-sín ou Gagá vaccine ;
  • le Gagá pingué ou Gagá pingé (dérivé du créole pligè qui signifie "plus gai"), au rythme rapide. Il est donc exécuté en statique, permettant d'utiliser des tambours et catás sans la difficulté liée au transport de l'instrument.

La cellule rythmique fondamentale est le tresillo qui est joué sur une cloche.

Tresillo
Tresillo

Les chants

Les chants, organisés sous forme de questions-réponses souvent improvisées entre un soliste et un chœur, sont en créole et peuvent être satiriques, obscènes, religieux, politiques ou tout simplement parler du quotidien. Ils en général court afin d'en faciliter la mémorisation et son utilisation spontanée.

Le disque Ritmos Cubafricanos (volume 1) interprété par le Ballet Folklórico Cutumba contient un morceau de Gagá.

Le Rará :

Le Gagá cubain :

Le Gagá de République dominicaine :

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